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MORIN.

Mais Morin, pour s’assurer de lui davantage, lui envoya, comme il est dit dans cette déposition, une lettre, le 21 décembre[1], jour de Saint-Thomas, qui lui fut apportée par sa fille aînée, par laquelle ledit Morin désirait de lui une soumission aveugle et sincère, pour aveuglément suivre et sincèrement observer tout ce qu’il lui ordonnerait, sans réserve de temps ni de chose, selon qu’on le peut voir dans ladite lettre... Cette demande de Morin fit naître quelque doute dans son esprit, ne voulant donner aucun consentement pour chose qui pût être mal... Mais enfin... jugeant que s’il ne feignait d’adhérer à quelque chose, pour découvrir tous les secrets de la cabale, tout commerce cesserait entr’eux, il se résolut de lui envoyer par écrit son consentement, pour aveuglément suivre et sincèrement observer tout ce que Simon Morin lui ordonnerait. À quoi il ajouta ces mots (de la part de Dieu et selon Dieu), par lesquels il témoignait qu’il ne se soumettait qu’à ce qui lui serait ordonné de la part de Dieu, et selon Dieu[2]... Ce ne fut pas là la fin des déguisemens du sieur des Marets. Il eut encore plusieurs entretiens avec Morin, dans le même esprit de dissimulation et de tromperie. Il lui écrivit plusieurs lettres, comme son disciple. Il en reçut plusieurs, comme de son maître. Il souffrait que cet illuminé, et ses demoiselles abusées, le considérassent comme étant entièrement de leur cabale. Et enfin il en vint jusqu’à cet excès prodigieux que je vas rapporter en ses propres termes. Pour faire que Morin et sa femme, qui était tourmentée par son diable sur son sujet, ne le soupçonnât pas, il se résolut de lui donner par la première lettre qu’il lui écrivit une déclaration, qu’il le reconnaissait pour le fils de l’homme, et pour le fils de Dieu en lui, sachant bien que Morin est fils d’un homme, et que le fils de Dieu est en lui comme en tout. Cette lettre, dit-il, du premier février 1662, fut si agréable à Morin, que, pour le reconnaître de cette déclaration, qu’il croyait fort nette, il lui écrivit une réponse du 2 février, par laquelle il lui donne, comme par une grande grâce, la qualité de son précurseur, le nommant un véritable Jean-Baptiste ressuscité. »

Le janséniste que je copie réfute ensuite, par les principes de saint Augustin, cette fourbe du sieur des Marets. Il dit presque les mêmes choses que M. Arnauld a observées depuis, en se plaignant de l’imposture d’un faux Arnauld, par laquelle on fit tomber dans le panneau un professeur de Douai.

(C) L’auteur que je cite... observe que le XVIIe. siècle a été fécond en fanatiques. ] Voici les paroles de cet auteur[3] : « Notre siècle, qui a été aussi fécond qu’aucun autre en choses extraordinaires, l’a été particulièrement en fanatiques ; et il semble même que les esprits soient tournés, je ne sais comment, de ce côté, et qu’ils y aient une pente naturelle. Car, comme dans les maladies contagieuses on voit d’ordinaire que tous les autres maux dégénèrent en pestes et en charbons, de même on a vu souvent, en ce siècle, que les dévotions déréglées et établies sur des caprices humains dégénèrent en illusions fanatiques. L’histoire des ermites de Caen a été célèbre par tout le royaume ; et si l’on avait fait la recherche qu’on devait de la compagnie du Saint-Sacrement, on aurait peut-être découvert bien d’autres choses de cette nature. » Il étale ensuite les visions de Charpy-de-Sainte-Croix, celles de Morin, et celles de des Marets. S’il y eût joint celles qui en ce temps-là se débitaient en Hollande[4], il eût bien fortifié sa thèse. La queue de ce même siècle ne dément pas les autres parties, dignum patellâ operculum.

(D) Je viens de recevoir un mémoire très-curieux concernant notre Morin [5]. ] En voici quelques extraits dans les propres termes de l’original : « Si-

  1. 1661.
  2. IIe, le titre visionnaire, pag. 268.
  3. Préface des Lettres visionnaires, p. 225,
  4. Voyez la remarq. (I) de l’article Marests (Samuel des).
  5. Il a été communiqué au libraire par M. l’abbé R.