Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T10.djvu/589

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
579
MUNUZA.

une coureuse qui se tourne de tous côtés dès qu’on la réveille. Souhaitez qu’on la laisse bien dormir.

Si quelques-uns trouvent étrange que je mette ici des choses qui sont étrangères à l’article de Mucie, je leur fais savoir que j’en use ainsi afin que l’on trouve ensemble ce qui concerne les mariages de Pompée. L’article de ce grand homme sera si long, que par prudence j’en détache des morceaux pour le rendre moins prolixe. J’ai déjà fait la même chose en de pareilles rencontres.

MUNUZA[a], vaillant capitaine maure (A), et gouverneur de Cerdaigne pour les Sarrasins, qui venaient de conquérir l’Espagne au commencement du VIIIe. siècle, fit une alliance secrète avec Eudes, duc d’Aquitaine, au préjudice de ces conquérans. Il se plaignait qu’ils traitaient fort mal tous les Maures ; mais outre cette raison, qui n’était peut-être qu’un prétexte dont il était bien aise de couvrir la trahison qu’il méditait, il en avait une autre. Il aimait avec une extrême passion la princesse d’Aquitaine (B), et il savait bien qu’il ne l’obtiendrait qu’en la faisant souveraine, et qu’en promettant de faire la guerre aux Sarrasins, afin qu’ils ne pussent pas détourner Eudes, duc d’Aquitaine, d’attaquer en même temps Charles Martel. L’amour fut donc le grand principe de la révolte de Munuza. C’était le plus laid de tous les hommes : au contraire la fille d’Eudes était une beauté rare. Il était d’ailleurs mahométan, au lieu que la princesse était zélée pour le christianisme. Tout cela n’empêcha point qu’elle ne lui fût livrée : l’ambition du père passa par dessus la répugnance de la fille. Munuza tint sa parole, il prit les armes dès que le mariage eut été conclu ; mais ce fut avec un méchant succès. Abdérame, gouverneur d’Espagne[b], le poussa si vivement, qu’il le contraignit de se renfermer dans Puycerda. Munuza eut quelque espérance d’y tenir bon, comme faisait don Pélage dans les montagnes d’Asturie ; mais comme l’eau vint à lui manquer, et qu’il se voyait fort odieux aux habitans, il quitta ce poste, et il se mit en chemin par des routes qu’il croyait inconnues, pour se retirer avec sa femme auprès du duc d’Aquitaine. On le poursuivit, et il ne put se voir en ce triste état sans tomber dans le désespoir : de sorte qu’il se précipita du haut des montagnes [c], pour n’être point mené vivant à ses ennemis. Sa tête fut portée à Abdérame. Sa femme lui fut aussi amenée (C) ; et comme Abdérame la trouva trop belle pour lui, il l’envoya au calife [d]. Il aima mieux faire ce présent à son souverain en faveur de son ambition, que de le garder pour ses plaisirs particuliers. Il ne faut point douter qu’il ne découvrît l’alliance qui avait été entre Munuza et Eudes, et qu’entre autres motifs il ne se proposât le châtiment du beau-père, qui avait poussé le beau-fils à se soulever. Aussi vit-on que personne ne fut plus alarmé qu’Eudes de l’expédition

  1. D’autres le nomment Munioz. Rodéric de Tolède le nomme Muniz.
  2. Le calife Iscam lui avait donné cette charge.
  3. En 731.
  4. Voyez l’Histoire de France de Cordemoi, tom. I, pag. 403.