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MAHOMET.

montrent jamais le visage, sortent peu, et croiraient se déshonorer si elles allaient à cheval. Les discours qu’un mari tient à sa femme dans son logis sont si modestes, qu’on n’y remarque rien de sensuel, non plus que dans sa contenance. Etiam in domibus propriis viri cum uxore nunquàm in actibus et motibus vel collocutione minimum indicium lasciviæ vel inhonestatis deprehendi potest [1]. M. Chardin nous apprend qu’en Perse on se marie sans se voir, et qu’un homme ne voit sa femme que quand il a consommé le mariage, et souvent il ne le consomme que plusieurs jours après qu’on l’a conduite chez lui, la belle fuyant et se cachant parmi les femmes, ou ne voulant pas laisser faire le mari. Ces façons arrivent souvent entre les personnes de qualité, parce qu’à leur avis cela sent la débauchée de donner sitôt la dernière faveur. Les filles du sang royal en usant particulièrement de la façon, il faut des mois pour les réduire [2]. Il parle tout autrement des Géorgiennes, qui font profession du christianisme ; car après avoir donné aux Géorgiens tous les défauts imaginables, il ajoute, les femmes ne sont ni moins vicieuses, ni moins méchantes ; elles ont un grand faible pour les hommes, et elles ont assurément plus de part qu’eux en ce torrent d’impureté qui inonde tout leur pays[3]. L’auteur cité par Hottinger n’élève pas moins les mœurs des Turcs au-dessus des mœurs des chrétiens, que la conduite des Turques au-dessus de la conduite des chrétiennes [4]. D’autres relations accusent les Turcs d’un extrême déréglement, et n’oublient pas la multitude de leurs concubines, qu’ils achètent au marché, et qu’ils visitent et touchent partout avant que de convenir du prix[5], tout comme font les bouchers, quand ils achètent quelque bête. Verè ut Pius II (lib. 1 Epist. 131 et Boskhierus ex eodem Philip. 10, pag. 362) de Turcis scripserit esse populum lambentem, fellatorem, lesbiatorem, fœminarum omnium concubitum gustantem et delibantem, addimus et verè fornicatorium, utpote, qui non tantùm virgines violant (scribente Bartholomæo Georgieviz.) (cap. 6 et 7) etiam antè ora patrum, sed etiam masculos captivos, indomitæ libidinis hi homines sibi substernunt (Boskhier. pag. 61 et 89.) In foro venales, nudosque exponunt viros, fœminasque, videndos et coram omnibus contrectandos, etiam quà pudor naturæ debetur, nudos currere, saltare jubent, quò vitia, sexus, ætas, corruptio vel integritas appareant[6]. Voilà un pape qui impute aux Turcs beaucoup de sales actions : mais ce que des écrivains catholiques ont écrit de la cour de Rome, et ce que l’on peut écrire de plusieurs nations chrétiennes, n’est pas meilleur : de sorte qu’il semble qu’on puisse assurer en général, que les chrétiens et les infidèles n’ont rien à se reprocher ; et que s’il y a quelque différence entre leurs mauvaises mœurs, c’est plutôt la diversité de climat qui en est la cause, que la diversité de religion.

(Q) Il n’a nullement mis le beau sexe dans ses intérêts. ] La permission qu’il accorde aux hommes d’avoir plusieurs femmes, et de les fouetter quand elles ne voudront pas obéir [7], et de les répudier si elles viennent à déplaire[8], est une loi très-incommode au beau sexe. Il se garda bien d’accorder aux femmes la permission d’avoir plusieurs hommes, et il ne voulut pas même qu’elles pussent quitter des maris fâcheux, à moins qu’ils n’y consentissent[9]. Il ordonna qu’une femme répudiée ne pût se remarier que deux fois, et que si elle était répudiée de son troisième mari, et que le premier ne la voulût point reprendre, elle renon-

  1. Idem, ibidem.
  2. Nouvelles de la République des Lettres, octobre 1686, pag. 1139, dans l’Extrait des Voyages de M. Chardin.
  3. La même, pag. 1129.
  4. Septem Castrensis, de Turcarum Moribus, cap. VIII, pag. 38, apud Hotting., Hist. orient., pag. 304.
  5. Conférez ce qu’on cite de Suétone, tom. VI, pag. 621, citation (64) de l’article Fulvie.
  6. Cornelius Uythagius, in Antichristo Mahomete, pag. 276.
  7. Quæ si fortè præcepta non observaverint, à vobis correctæ et castigatæ, in domibus lectisve datentæ verberentur, usquè quo vestris nutibus et præceptis pareant. Alcor., surat. IX.
  8. Quandò illæ non ampliùs tibi placent, commutare eas licet. Ibid., surat. VIII.
  9. Mulier ad fugam se præparans invito marito recuperetur ab eo. Alcoran., surat. III.