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MAHOMET.

diente, à canibus dilaceratum fuisse [1].

(AA) On a publié un testament de Mahomet. ] On imprima à Paris, en latin et en arabe, l’an 1630 un livre intitulé : Testamentum et Pactiones initæ inter Muhammedum et christianæ fidei cultores. Le père Pacifique Scaliger, capucin, en avait apporté le manuscrit de l’Orient. Gabriel Sionita est l’auteur de la traduction latine. Jean Fabrice publia ce testament en latin, à Rostoch, l’an 1638. M. Hinkelman, pasteur de Hambourg, l’a publié en latin et en arabe, l’an 1690[2]. Les sentimens des critiques sont partagés sur la question, si cet ouvrage est une pièce légitime. Grotius le croit supposé. Edidit Gabriel Sionita, dit-il[3], his diebus testamentum Muhammedis τοῦ ψευδοπροϕήτου, aut indultum potiùs ejus in gratiam christianorum, haud dubiè à christianis suppositum, ut sub obtentu tanti nominis musulmannis æquioribus uterentur. Ille tamen genuinum esse affirmat, et persuadet iis qui nasum non habent. Voétius[4], Hoornbeck[5], Bespier [6], et plusieurs autres ministres embrassent ce sentiment. Hottinger [7], qui n’avait point vu l’arabe, n’ose décider. Saumaise décide que l’ouvrage est légitime. Vidi nuper testamentum Muhammedis. De veritate ejus nullus dubito. Sed mollem ita reddidisset interpres. Nihil enim minus quàm testamentum. Fœdus est et pactio, quâ securitatem christianis dedit ; cujus et mentionem facere videtur Almachinus in Vitâ Muhammedis : ubi narrat ex historiis christianorum, addictum fuisse christianis illum impostorem et benevolum ; et eùm ad ipsum quidam christiani venissent, petentes securitatem, imposuisse eis tributum, atque in fidem eos suscepisse[8]. M. Hinkelman [9] est du sentiment de Saumaise. M. Ricaut l’est aussi ; car voulant prouver que Mahomet usa de ruse au commencement par de fausses apparences d’une intention sincère de vivre en paix avec les chrétiens, il dit[10] que ce faux prophète fit un traité avec eux, dont l’original a été trouvé dans le monastère des religieux du Mont-Carmel. Il ajoute ces paroles[11] : On dit que cet original[12] a été transporté de ce lieu-là en France, et mis dans la bibliothéque du roi. Comme il est ancien et curieux, je crois qu’il n’est pas hors de propos d’en mettre ici l’interprétation. Ayant rapporté toute la teneur de l’acte, il continue de cette manière[13] : Quoique les Turcs nient que ce traité soit de Mahomet, néanmoins il y a de très-bons auteurs qui croient qu’il est légitime ; et qu’il a été fait au temps qui est marqué à la fin, c’est à savoir lorsque l’empire de Mahomet était encore faible et dans son enfance ; car en ce temps-là il faisait la guerre aux Arabes, et craignait que les chrétiens ne se déclarassent contre lui. C’est pourquoi, pour n’être point attaqué de deux ennemis à la fois, il fit ce traité avec eux dans le monastère des moines du Mont-Carmel [14], d’où ces austères religieux tirent leur nom. Ce qu’il y a de bien sûr, est que dans le temps[15] où l’on suppose que Mahomet fit ces conventions avec les chrétiens, il était de la bonne politique de ne les pas irriter. Il y a un passage dans l’Alcoran qui promet aux infidèles la liberté de conscience : M. Ricaut le cite

  1. Ludov. Maraccius, in Prodromo ad Refutat. Alcorani, apud Acta Eruditor. Lips., 1692, pag. 331.
  2. Voyez l’Histoire des Ouvrages des Savans, octobre 1690, pag. 80.
  3. Grotius, Epist. ad Gallos, pag. 239, apud Hotting., Hist. orient., lib. II, cap. II, pag. 237.
  4. Voetius, Disp. Theolog., tom. II, pag. 668.
  5. Hoornbeek, Summa Controv., pag. 88.
  6. Bespier, Remarques sur Ricaut, tom. II, pag. 623.
  7. Hotting., Hist. orient, pag. 237.
  8. Salmas., epist. XX, lib. I, pag. 44.
  9. Voyez l’Histoire des Ouvrages des Savans, octobre 1690, pag. 80.
  10. Ricaut, État de l’Empire ottoman, liv. II, chap. II, pag. 307.
  11. Idem, ibidem, pag. 308.
  12. Il n’a point su que cet ouvrage eût vu le jour à Paris, l’an 1630, et à Rostoch, l’an 1638.
  13. Ricaut, État de l’Empire ottoman, liv. II, chap. II, pag. 316, 317.
  14. Bespier fait ici cette remarque. Il n’y a nulle apparence à cela, et même ce Traité est signé à Médine, comme on le voit ici. Il ne peut donc avoir été fait dans le monastère du Mont-Carmel, qui est à plus de deux cents lieues de Médine.
  15. C’est l’an 4 de l’Hégire.