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SADUCÉENS.

de Bèze, avec une prière de sa façon au bout de chaque psaume, qui ne contenait que des complimens fort plats à la Divinité. Enfin, les relations de voyages tant fort à la mode en ce temps-là, il couronna ses ouvrages par son Australie, comme il l’appelle : il la fit imprimer ici secrètement sur la fin de 1676. Messieurs nos ecclésiastiques qui crurent trouver dans ce livre plusieurs choses contraires à l’Écriture Sainte et plusieurs impuretés appelèrent l’imprimeur, qui déclara que Foigni avait fourni le manuscrit : celui-ci ayant comparu, soutint vigoureusement que Jacques Sadeur en était le véritable auteur, et qu’on lui en avait envoyé la copie de Bordeaux ; mais enfin, ayant été déféré au magistrat, il avoua, étant pressé, que c’était lui-même qui avait composé ici le livre, pour gagner quelque chose, et que Jacques Sadeur était un nom supposé. Pour peine on lui ordonna de se retirer de la ville avec sa famille : mais quelques gentilhommes allemands, à qui il enseignait la langue, ayant intercédé pour lui, on le toléra encore ici quelque temps ; mais au bout de trois ou quatre ans, sa servante étant devenue grosse, et lui se voyant poussé à ce sujet par la justice, il décampa, se retira en Savoie, et se renferma dans un couvent, où il est mort depuis cinq ans. »

Il faut que je mette ici ce qui me fut dit l’an 1699 par une personne d’importance, c’est que la Relation qui a paru sous le nom de Jacques Sadeur est l’ouvrage d’un gentilhomme breton, grand admirateur de Lucrèce, dont il avait fait même une version en français, qu’il se proposait de publier. Il fit imprimer à Vannes, l’an 1676, la Relation de Jacques Sadeur. J’accorderais cela avec le mémoire de Genève, en supposant que le moine défroqué emprunta de cet ouvrage les matériaux de l’Australie, qu’il fit imprimer, ou même qu’il copia mot à mot, et qu’il donna sa copie comme un vrai original. Il y a dans cette Relation certaines choses ménagées si finement, que j’ai quelque peine à m’imaginer que Foigni ait été capable de cette délicatesse. J’ai oublié de prier quelques-uns de mes amis de collationner avec l’Australie la Relation de Jacques Sadeur. Je soupçonne qu’il y a quelque différence entre ces deux pièces[* 1].

  1. * Leclerc observe qu’on ne peut rien dire de tout ceci, que l’on n’ait vu et confronté les deux livres.

SADUCÉENS[* 1], secte qui se forma parmi les juifs, deux cents ans ou environ avant la naissance du Messie (A). On croit que Sadoc, disciple d’Antigonus Sochæus, en a été le fondateur. Lui et Baithus, qui était aussi disciple de ce même Antigonus, prirent mal le sens d’une doctrine que leur maître leur inculquait : ils conclurent qu’il n’y avait ni paradis ni enfer, de ce qu’il les exhortait à honorer Dieu, non comme des mercenaires qui n’agissent que par l’espérance du gain, mais comme ces domestiques généreux qui s’acquittent ponctuellement de leurs fonctions envers leurs maîtres sans aucun motif de récompense. Une maxime si belle, n’ayant pas été bien interprétée par ces deux disciples d’Antigonus, les rendit chefs de parti[a]. Ils fondèrent deux sectes pernicieuses (B), qui renversaient de fond en comble la religion ; et comme ils prévirent qu’on les tuerait s’ils se hasardaient à déclarer publiquement toute la suite de leurs principes, ils n’o-

  1. * Joly ne fait aucune remarque sur cet article. Leclerc se contente de dire : « Bayle y suppose plusieurs fois que la religion influe beaucoup sur les mœurs ; il a raison. Mais il a eu tort de soutenir aussi souvent le contraire. »
  1. Pirke Avoth, cap. I, num. 3, et Maimonides, Commentar. in Pirke Avoth, folio 25, cap. I, apud Joh. Helvicum Wallemerum, in Dissertat. philologicâ de Sadducæis, pag. 20, 22.