Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T15.djvu/140

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
132
DISSERTATION

bourg [a]. Il paraît, en troisième lieu, que les excuses alléguées par M. Rivet ne sont pas valables, puisqu’il est certain que lorsque Languet mourut, la France n’était plus en état de persécuter les protestans que par des guerres civiles, où chaque parti souffrait, et que M. du Plessis, âgé de trente-deux ans, avait déjà composé de très-beaux ouvrages, les meilleurs peut-être qu’il ait jamais faits, savoir le traité de l’Église, et celui de la Vérité de la Religion chrétienne.

IX. Dissertation de Voëtius. Il est censuré par Placcius.

M. Voët [b], professeur en théologie à Utrecht, homme d’une lecture immense, aurait peut-être ignoré toute sa vie comme Grotius et Rivet et Desmarets, ce dénoûment de Théodore Tronchin, si l’on ne se fût avisé de réimprimer à Amsterdam les Vindiciæ contra Tyrannos, l’an 1660, et d’ajouter après ces paroles, Stephano Junio Bruto Celtâ, cette queue, sive, ut putatur, Theodoro Bezâ auctore. Messieurs de Genève ayant su cela crurent qu’il ne fallait point laisser le nom de Théodore de Bèze sous cette fausse imputation. Ils craignirent que sa mémoire n’en fût flétrie ; voyant que le livre de Junius Brutus était traité comme n’étant pas bon à donner aux chiens : car, quand le roi Jacques eut à repousser le reproche qu’on en faisait à ceux de la religion, il répondit qu’apparemment quelque papiste avait supposé cet ouvrage aux protestans, afin de les rendre odieux : Quem nobis objicit Junius Brutus, author est ignotus, et fortè romanensis ecclesiæ emissarius, ut per illum reformatæ religioni apud principes conflarent invidiam [c]. Et lorsque les écrivains du parti étaient harcelés sur la même affaire, ils ne manquaient de dire qu’on leur objectait là un inconnu, un homme sans nom et sans figure dans l’église et dans le monde, un fantôme. C’était une nouvelle raison de s’empresser à justifier ce grand serviteur de Dieu, et en tous cas il valait mieux que les reproches tombassent sur des laïques, vrais auteurs des sentimens qu’on objectait, que sur des théologiens innocens. À ces causes, et autres bonnes considérations à ce les mouvant, messieurs de Genève écrivirent au magistrat d’Amsterdam les preuves de l’innocence de Théodore de Bèze [d] ; et c’est apparemment par-là que M. Voët vint à la connaissance du mystère révélé par Simon Goulart. Quoi qu’il en soit, il publia en 1662 [e] une disser-

  1. On supposait en ce temps-là que plusieurs livres s’imprimaient à Edimbourg, comme en 1574. Le Réveil-matin des Français, composé par Eusèbe Philadelphe Cosmopolite (c’est un nom déguisé), et le Traité de Furoribus Gallicis, sous le faux nom d’Ernestus Varamundus Frisius, en 1573.
  2. Gisbertus Voëtius.
  3. Operum Regiorum, pag. 578. Ce qui a été ainsi traduit en français, Junius Brutus, qu’il (le cardinal du Perron) nous objecte, est un auteur inconnu ; et peut-être que quelqu’un de l’église romaine l’a fait exprès, pour rendre odieux aux princes ceux de la religion, pag. 137 et 138 de la Défense du Droit des Rois, imprimée en 1615, contre la Harangue du cardinal du Perron.
  4. Placcius, de Script. anonym., pag. 169.
  5. Il marque lui-même cette année au IVe. volume de ses Thèses, pag. 230. Placcius, ibid., la met en 1661.