Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T15.djvu/149

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
141
SUR LE LIVRE DE JUNIUS BRUTUS.

public avant la mort de Languet, adieu toute la déposition de Goulart. Ceci excitera peut-être quelqu’un bien pourvu de livres et de loisir à chercher quelques lumières sur ce sujet, et espère que M. Baillet épuisera la matière dans le grand ouvrage qu’on attend de lui sur les auteurs qui ont déguisé leur nom.

XVIII. Faute de la Suite du Ménagiana.

Il y a dans la Suite du Ménagiana [* 1] une faute que je ne dois pas omettre. « C’est un excellent livre que les lettres de Languet. M. Languet était conseiller au parlement, et homme de grand mérite. C’est lui qui est auteur d’un ouvrage admirable intitulé Vindiciæ regiæ contra Tyrannos. Il fit ce livre pour défendre la cause de Henri IV. Comme il y allait de la vie de s’en déclarer auteur, il prit si bien ses mesures avec son imprimeur, et le secret fut si bien gardé par l’intérêt qu’ils y avaient l’un et l’autre, qu’on ne sut que long-temps après la mort de M. Languet, que ce livre était de lui ; et l’imprimeur, qui déclara qu’il l’avait imprimé après la paix faite, découvrit au roi Henri IV comment la chose s’était passée. » 1°. Cette expression conseiller au parlement, doit signifier ici que Hubert Languet a eu cette charge au parlement de Paris. Mais il est certain qu’il ne l’a eue dans aucun parlement de France. 2°. Son livre n’a point le titre de Vindiciæ regiæ, et ne l’a point dû avoir. 3°. M. Ménage ne l’aurait jamais nommé admirable [* 2], s’il avait su quelle est la matière que l’on y traite, et sur quels principes on y raisonne. 4°. Rien ne pouvait être plus pernicieux à Henri IV que le livre de Languet, parce qu’il autorisait les Français à déposer Henri III, et à conférer la couronne au duc de Guise. 5°. Enfin tout le reste du narré, ce secret de l’imprimeur et la découverte du mystère après la paix, sont diamétralement contraires à la vérité et à l’apparence même de la vérité. Je ne nie point qu’en un certain sens M. Ménage n’eût pu juger que cet écrit de Languet est admirable : il y eût trouvé de l’érudition et de l’adresse, beaucoup d’ordre et de méthode, et ce qu’on peut dire de meilleur et de plus solide sur le droit des peuples, qui est une chose bien problématique. Elle a plusieurs beaux côtés [a], et on la peut soutenir par tant de raisons plausibles, qu’il ne faut pas trouver étrange que non-seulement les esprits factieux, bouillans et brouillons l’aient soutenue, mais aussi plusieurs personnes de grand jugement, et d’une vertu exemplaire. Je puis compter parmi ceux-ci Étienne de la Boëtie, auteur du discours de la Servitude volontaire, ou du Contre-un. Il ne fut jamais un meilleur citoyen, ni plus ennemi des trou-

  1. * Amsterdam, 1713, tom. II, pag. 92 ; Paris, 1715, tom. III, pag. 134.
  2. * La Monnoie, dans le Ménagiana, 1715, tom. III, pag. 136, et 1716, tom. IV, pag. 62, pense que les amis de Ménage ont rapporté comme de lui beaucoup de choses qui n’en sont pas, et que celle-ci est du nombre.
  1. On a ici un grand exemple de l’incertitude des connaissances humaines ; car cette même cause qui a de si beaux côtés en a de si laids qu’ils font horreur.