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DISSERTATION

n’est pas toujours une bonne excuse que de dire, un tel libelle n’a pas été réfuté, il faut donc croire ce qu’il contient. Sénèque se moque de ce raisonnement [a].

    non difforre, non minùs verò quàm eleganter scripsit Fabius : vix enim est ut qui verbis ultrò lædit, re etiam lædere non nolit. Menagius, Epist. dedicat. Vitæ Mamurræ.

  1. Res falsa et inanis nisi corrigatur habet nonnunquàm fidem, multique sunt homines judicii parùm firmi qui nihil audiant legantve quod non credant nisi refutatum sciant. Seneca.

(A) Trop d’écrivains... perpétueront les mensonges que l’on divulgue journellement. ] J’aurais pu parler d’une autre sorte d’écrivains. Ceux qui continuent Pézélius, Calvisius ; le Theatrum Europæ, etc., ceux qui publient des Synopses Rerum toto orbe gestarum, et des abrégés de l’Histoire Universelle in usum studiosæ juventutis, sont, je l’avoue, les plus grands propagateurs des fausses nouvelles ; mais ils ne sont pas les seuls qui travaillent à cela, ni peut-être les plus dangereux conservateurs du mensonge. Il y a des historiens qui, prenant le contre-pied de ceux-là, trompent les personnes mêmes qui se piquent d’être difficiles à contenter. Je parle de certains historiens qui ressemblent à M. Varillas. Ils aiment à dire ce qui ne se trouve point dans les histoires ordinaires : ils aspirent à la louange d’avoir déterré des anecdotes, et les qualités occultes des premiers ministres, avec le secret des intrigues, et des négociations que personne n’avait su. Qu’une chose ait été abandonnée à l’oubli de tout le monde, c’est assez pour eux afin de la publier. Ils vont plus avant ; ils bâtissent là-dessus tout un système : cela leur sert de clef pour ouvrir le cabinet des souverains ; ils donnent raison par-là de plusieurs mystères, si on les en croit. Quand ces messieurs trouvent dans quelque coin de bibliothéque, ou parmi les paperasses enfumées d’un inventaire, un imprimé qui leur était inconnu, ils le lisent avidement, cela est louable ; mais s’ils y trouvent quelque fait particulier, rare, surprenant, ils l’adoptent tout aussitôt pour le faire servir de base à des conjectures qu’ils ont dessein d’étaler comme des faits ou comme des éclaircissemens historiques. Cela n’est guère louable, c’est très-souvent le chemin de l’illusion. Si quelqu’un de ces gens-là trouvait à cent ans d’ici un exemplaire de la lettre pastorale qui fut supprimée promptement par son auteur, il en ferait bien son profit. Il se vanterait d’avoir déterré des choses qu’aucun historien n’avait débitées : il raisonnerait là-dessus à perte de vue, et donnerait à l’Europe toute une nouvelle face, par rapport aux motifs secrets de la conduite. Il ressusciterait donc une fausseté qui n’a couru que peu de jours dans les nouvelles ordinaires, et il la perpétuerait ; car, par exemple, il se trouvera toujours des historiens qui raconteront ce qu’ils auront lu dans Varillas. J’avertirai mon lecteur que la suppression de cette lettre pastorale ne m’est connue que par un petit imprimé en 15 pages in-4°., daté du 25 de janvier 1696 [1]. J’y ai lu [2] que l’auteur des Pastorales ayant cité pour preuve des intentions favorables des alliés, un projet de paix dressé par la diète de Ratisbonne.., qui avait été fabriqué par un politique spéculatif d’Amsterdam..., eut tant de honte d’avoir été la dupe de cette pièce supposée, qu’il fit faire incessamment une autre édition de sa Lettre pastorale, dans laquelle il supprima cet article.

(B) Une fausse nouvelle crue trois jours ne soit capable de faire beaucoup de bien à un état, etc. ] On attribue à Catherine de Médicis cette maxime, qu’une nouvelle fausse crue trois jours pouvait sauver un état [3]. Les histoires sont remplies de l’utilité des fausses nouvelles. Les chefs de la ligue se maintinrent long-temps par-là dans Paris. Le duc de Mayenne, ne pouvant nier qu’il n’eût perdu le champ de bataille à la journée d’Ivry, faisait accroire que le Béar-

  1. Il a pour titre, Parallèles de trois Lettres Pastorales de M. Jurieu, touchant l’accomplissement des prophéties.
  2. À la page 14 : il cite la pastorale du mois de janvier 1695.
  3. D’Aubigné, Confession catholique de Sancy, liv. II, cap. VI, pag. m. 413, 414.