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jour artificiel ne doit pas être borné par le lever et par le coucher du soleil ; ce n’est point par-là que les artisans peuvent régler leur travail dans les zones froides, et qu’ils le règlent toujours dans les tempérées.

Partout ailleurs on voit que les choses qui empruntent leur nom de la nature ont une tout autre généralité, que celles à qui l’art donne le nom. Il est donc plus raisonnable que le jour naturel soit celui qui est uniforme par tout le monde, et que le jour artificiel soit celui qui varie selon les lieux, que d’établir le contraire. Disons donc que le mot jour, dans la signification la plus propre, se doit prendre pour le temps qui coule depuis que le soleil quitte le méridien, jusques à ce qu’il y revienne ; que c’est là le jour naturel qui comprend vingt-quatre heures (A) ; qu’en ce sens-là les jours ne sont pas plus grands, ni en moindre nombre sous les pôles que sous l’équateur, qu’ils sont égaux par toute la terre ; mais que comme les parties les plus excellentes d’un tout jouissent souvent du privilége de porter le nom du tout sans queue et par excellence, il est arrivé que dans les lieux où le jour naturel est composé de deux parties, l’une ténébreuse, l’autre lumineuse, celle-ci comme la plus noble a été nommée simplement jour : après quoi on a cru pouvoir dire que dans les zones tempérées chaque jour est plus long, ou plus court, que le précédent. Voila sans doute l’origine de cette seconde signification du mot jour. L’ordre veut que ceux qui traitent ces matières dogmatiquement, le caractérisent par l’addition de quelque épithète, d’artificiel, par exemple. Mais dans le langage ordinaire on n’a besoin d’aucune addition afin d’entendre que le jour exclut la nuit [a]. Cela n’est pourtant pas universel ; il y a des phrases populaires où le jour se prend pour vingt-quatre heures, comme lorsqu’on dit, qu’un enfant n’a vécu que quatre jours ; qu’un voyage, qu’un mariage, n’a duré que quinze jours ; et ainsi de plusieurs autres façons de parler, où il est visible que le jour n’exclut pas la nuit.

II. Les Gaulois et autres nations ont compté par nuits.

Les anciens Gaulois ont donné à la nuit la préférence sur le jour ; car ils ont voulu que le temps de vingt-quatre heures, composé de jour et de nuit, s’appelât une nuit. César nous l’apprend, et attribue l’origine de cette coutume à une ancienne tradition des druides, qui portait que la nation gauloise était descendue de Pluton [b]. Les Allemands suivaient aussi la même pratique de compter par nuits [c]. Vigénère, dans ses notes sur Jules César [d], prétend qu’on trouve encore

  1. Vulgus omne à luce ad tenebras diem observat. Plin, lib. II, cap. LXXVII.
  2. Galli se omnes à Dite patre prognatos predicant, idque à druidibus proditum dicunt. Ob eam causam spatia omnis temporis non numero dierum, sed noctium definiunt, et dies natales et mensium et annorum initia sic observant ut noctem dies sequatur. Cæsar, de Bello gall., lib. VI.
  3. Nec dierum numerum ut nos, sed noctium computant. Sic constituunt, sic condicunt : nox ducere diem videtur. Tacit., de Germ., cap. XI.
  4. Pag. m. 319.