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DISSERTATION

prix, ne font point perdre à auteur les louanges qui lui sont dues. L’injustice et la malignité du genre humain, quelque grandes qu’elles soient, ne sont pourtant pas encore montées jusques au point que la plupart des lecteurs ne donnent des louanges à un bon livre, nonobstant les petites fautes dont il peut être parsemé. Cette belle maxime d’un poëte de la cour d’Auguste subsistera toujours :

Ubi plura nitent in carmine, non ego paucis
Offendar maculis, quas aut incuria fudit
Aut humana parùm cavit natura [a].

Surtout on pardonne les fautes, même nombreuses, à ceux qui font de gros dictionnaires : c’est pour eux principalement qu’il faut alléguer la maxime,

Opere in longo fas est obrepere somnum [b],


et c’est dans cette confiance que je ferai moins de scrupule de les critiquer ; car je serais très-fâché de diminuer la considération que l’on doit avoir pour eux. Le public leur est infiniment obligé des instructions qu’ils lui ont données à la sueur de leur front, et avec la peine la plus assommante qui puisse être prise pour une production de plume. Je renvoie mon lecteur à la préface de M. Morus, que j’ai déjà citée, où il montre que les fautes de Scaliger, de Saumaise et de Baronius ne les doivent pas dépouiller de la gloire qu’ils se sont acquise. Vous voyez, monsieur, à quoi se réduisent mes excuses : je n’ai point dessein de faire tort au mérite des auteurs, ni de m’éloigner à leur égard des lois de l’honnêteté ; et j’ai si bonne opinion de leur modestie, et de leur zèle pour l’instruction du public, que je me crois pas qu’ils se fâchent de la liberté qu’on prendra de marquer en quoi ils se sont trompés. La plupart du temps ce ne sera point moi qui découvrirai leurs fautes : je ne ferai que rapporter ce que d’autres en auront dit. Je me fais une religion de ne m’approprier jamais ce que j’emprunte d’autrui ; de sorte qu’on pourra être très-assuré que quand je marque une faute sans citer quelqu’un qui l’ait remarquée, c’est que je ne sais pas qu’elle ait déjà été rendue publique. Après tout, je ne crois point qu’on doive exiger que j’aie plus d’indulgence pour mon prochain que pour moi-même, et l’on verra que je ne m’épargnerai pas. Enfin il faut que l’on considère que l’intérêt du public doit l’emporter sur celui des particuliers, et qu’un auteur ne mérite point de complaisance lorsqu’il est assez injuste pour aimer mieux que ses fautes demeurent cachées que de voir le public désabusé [c].

Je ne sais si c’est que je juge des autres par moi-même, mais il me semble que ceux dont je rapporte honnêtement quelques méprises ne s’en irriteront pas. Cela fait que j’en rapporte qui touchent des gens pour qui j’ai une estime extraordinaire, et qui

  1. Horat., de Arte poëticâ, v. 351.
  2. Idem, ibid., v. 360.
  3. Nimis perversè se ipsum amat qui et alios vult errare ut error suus lateat : quantò enim melius et utilius, ut ubi ipse erravit, alii non errent quorum admonitu errore careat : quòd si noluerit, saltem comites erroris non habeat. Augustin, epist. VII, p. m. 28.