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SUR LES ATHÉES.

J’ai fait voir ailleurs [1] que rien n’est plus propre à prouver la corruption du cœur de l’homme, cette corruption naturellement invincible, et seulement surmontable par le Saint-Esprit, que de montrer que ceux qui n’ont point de part aux secours surnaturels sont aussi méchans sous la pratique d’une religion que ceux qui vivent dans l’athéisme. J’ajoute ici qu’on ne saurait faire plus de plaisir aux pélagiens que de dire que la crainte des faux dieux a pu porter les païens à se corriger de quelque vice : car, si de peur de s’attirer la malédiction céleste ils ont pu s’abstenir du mal, ils ont pu aussi se porter à la vertu par le désir des récompenses spirituelles, et afin de se procurer l’amour de Dieu ; c’est-à-dire, qu’ils auraient pu non-seulement craindre, mais aimer aussi la Divinité, et agir par ce bon principe. Les deux anses avec quoi l’on remue l’homme sont la crainte du châtiment, et le désir de la récompense : s’il peut être remué par celle-là, il le peut aussi être par celle-ci : l’on ne saurait bonnement admettre l’une de ces choses, et rejeter l’autre.

XII. Si quelques personnes plus équitables et plus éclairées qu’on ne l’est ordinairement alléguaient, comme la raison unique de leur scandale, l’affectation avec laquelle il leur semble que j’aie fait remarquer à mes lecteurs la bonne vie des athées, je les prierais de considérer que dans le cas dont il s’agit l’affectation est fort excusable, et qu’elle peut même passer pour un sujet d’édification. Il ne faut, pour bien entendre cela, que se souvenir d’un épisode de mon Traité des Comètes. Le véritable but de cet ouvrage était de réfuter par une raison théologique ce que l’on dit ordinairement sur les présages des comètes [2]. La nécessité de fortifier cette raison m’entraîna dans le parallèle de l’athéisme et du paganisme ; car sans cela ma preuve aurait été exposée à une objection qui l’eût rendue mal propre à persuader ce qu’il fallait que je démontrasse. Il fallait donc ou laisser une brèche ouverte, ou réfuter les raisons de ceux qui disent que l’idolâtrie des païens n’était pas un aussi grand mal que l’athéisme. Tout le succès du combat dépendait beaucoup de celui de cette attaque ; et ainsi dans l’ordre de la dispute, et par tous les droits qui appartiennent à un auteur, je pouvais et devais me prévaloir de tout ce que la logique et l’histoire étaient capables de me fournir pour repousser cet assaut. Ce ne fut donc point, ou de gaieté de cœur, ou par audace, que je débitai des faits qui tendaient à persuader que les athées ne sont pas nécessairement plus déréglés dans leurs mœurs que les idolâtres. Les lois de la dispute, et le droit que chacun a de repousser les objections à quoi il voit que sa thèse est exposée, m’imposaient indispensablement cette conduite. On a fort crié contre cet endroit de mon ouvrage, et l’on a tâché de le faire passer pour dan-

  1. Voyez les Pensées diverses sur les Comètes, pag. 437, 490, 599 ; et les Additions à ces Pensées, pag. 58, 110.
  2. Voyez la préface de la troisième édition.