Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T15.djvu/289

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
281
SUR LES MANICHÉENS.

principes dont on est convenu ; si les prémisses d’une preuve sont véritables, si la conséquence est bien tirée, si l’on s’est servi d’un syllogisme à quatre termes, si l’on n’a pas violé quelque aphorisme du chapitre de oppositis, ou sophisticis elenchis, etc. On remporte la victoire, ou en montrant que le sujet de la dispute n’a aucune liaison avec les principes dont on était convenu, ou en réduisant à l’absurde le défendeur. Or on l’y peut réduire, soit qu’on lui montre que les conséquences de sa thèse sont le oui et le non, soit qu’on le contraigne à ne répondre que des choses tout-à-fait inintelligibles. Le but de cette espèce de disputes est d’éclaircir les obscurités et de parvenir à l’évidence ; et de là vient que l’on juge que pendant le cours du procès la victoire se déclare plus ou moins pour le soutenant ou pour l’opposant, selon qu’il y a plus ou moins de clarté dans les propositions de l’un que dans les propositions de l’autre : et enfin l’on est d’avis qu’elle se déclare pleinement contre celui dont les réponses sont telles qu’on n’y comprend rien, et qui avoue qu’elles sont incompréhensibles. On le condamne dès lors par les règles de l’adjudication de la victoire ; et lors même qu’il ne peut pas être poursuivi dans le brouillard dont il s’est couvert, et qui forme une espèce d’abîme entre lui et ses antagonistes, on le croit battu à plate couture, et on le compare à une armée qui, ayant perdu la bataille, ne se dérobe qu’à la faveur de la nuit à la poursuite du vainqueur.

Ce qu’il faut conclure de cela est, que les mystères de l’Évangile, étant d’un ordre surnaturel, ne peuvent point et ne doivent point être assujettis aux règles de la lumière naturelle. Ils ne sont pas faits pour être à l’épreuve des disputes philosophiques : leur grandeur, leur sublimité, ne leur permet pas de la subir. Il serait contre la nature des choses qu’ils sortissent victorieux d’un tel combat : leur caractère essentiel est d’être un objet de foi, et non pas un objet de science. Ils ne seraient plus des mystères, si la raison en pouvait résoudre toutes les difficultés : et ainsi, au lieu de trouver étrange que quelqu’un avoue que la philosophie peut les attaquer, mais non pas repousser l’attaque, on devrait se scandaliser si quelqu’un disait le contraire [1].

Si ceux dont je veux guérir les scrupules ne se rendent pas à ces considérations, où ils trouveront peut-être quelque chose de trop abstrait, je les prierai de recourir à des réflexions qui soient plus à la portée de tout le monde. Je les prierai d’étudier un peu le génie que l’on voit régner dans le Nouveau Testament, et dans la mission des Apôtres.

L’esprit de dispute est la chose qui paraisse la moins approuvée dans l’économie évangélique. Jésus-Christ ordonne d’abord la foi et la soumission. C’est son début ordinaire, et celui de

  1. Notez qu’on ne veut pas condamner ceux qui s’efforcent de concilier ces mystères avec la philosophie ; leurs motifs peuvent être bons, et leur travail avec la bénédiction de Dieu peut quelquefois être utile.