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SUR LES MANICHÉENS.

[1] ;... un maître inhumain, qui commande des choses impossibles à ses serviteurs, et les châtie d’une peine éternelle, parce qu’ils ne les ont pas exécutées, comme faisait le tyran Caligula [2] ; enfin un Dieu qui comme Caligula ordonne que l’on écrive ses lois avec un caractère si petit qu’on ne les puisse lire [3]. L’arminien Bertius, disputant contre Piscator, l’accusa de faire tenir à Dieu à l’égard de l’homme une conduite toute semblable à celle dont Tibère se servit envers les filles de Séjan. Il marqua ce parallèle [4] en deux colonnes, et il arrangea dans l’une ce qui fut fait par cet empereur afin que les filles de Séjan ne fussent pas étranglées contre les lois ; il arrangea dans l’autre ce que Piscator fait faire à Dieu afin que les réprouvés ne soient pas punis contre les formes. Un théologien réformé emploie contre les sociniens une semblable batterie. Il leur soutient que leur Dieu est le plus grand de tous les monstres qui soit monté dans l’imagination [5] ; que Platon et Zénon ne s’en seraient point accommodés [6] ; que c’est un Dieu ignorant, fort impuissant [7], tout plein d’imperfections [8], un fantôme de Dieu qui est démonté à chaque pas par des événemens imprévus [9] ; un étrange Dieu qui ne vaut guère mieux que celui d’Épicure [10] ; et qui vit au jour la journée [11].

Telle étant la coutume des controversistes, j’aurais été un fort mauvais historien de la dispute sur l’origine du mal, et un rapporteur infidèle des raisons de chaque parti, si je n’avais point allégué la comparaison qui a déplu à certaines gens. C’est celle de Dieu avec une mère qui, prévoyant que sa fille, etc. ; et notez que j’ai montré qu’elle peut être rétorquée contre les sociniens.

S’il y a des gens qui se sont choqués de ce que je me suis départi de la maxime qu’il ne faut jamais avouer à ses adversaires que l’on ne peut pas répondre à leurs objections, je n’aurai pas besoin d’une longue apologie, je n’aurai qu’à faire cette petite demande : Agir de bonne foi, n’est-ce pas une belle chose ? n’est-ce pas une affaire d’obligation, ou pour le moins de permission ? On ne saurait me répondre qu’affirmativement. Je puis donc, répliquerai-je, me servir de cette louable liberté, et surtout puisqu’il n’y a ni règlement de synode, ni règlement de consistoire, qui lie les mains à personne à cet égard-là. Si l’on me peut produire un jugement doctrinal signé de quatre professeurs en théologie, et scellé du sceau de quelque université, ce n’est pas demander beaucoup ;

  1. Là même.
  2. Là même, pag. 4.
  3. Là même, pag. 12.
  4. Le sieur André Charles, théologien luthérien, a inséré ce parallèle dans son Memorabilia ecclesiastica sæculi XVII, lib. II, pag. 385, 386.
  5. Voyez le Jugement sur les Méthodes d’expliquer la Grèce, pag. 10.
  6. Voyez le Tableau du Socinianisme, Ire. lettre, pag. 20.
  7. Là même, pag. 23.
  8. Là même, pag. 25.
  9. Là même.
  10. Là même, pag. 27.
  11. Là même, pag. 34.