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SUR LES OBSCÉNITÉS.

qui est bon pour eux l’est à plus forte raison pour moi, et ce qui ne pourrait pas l’être pour eux, le pourrait être pour moi. Vous n’avez qu’à comparer ensemble les neuf classes que j’ai articulées, vous trouverez que la dernière, qui est celle qui convient à mon ouvrage, est la moins exposée de toutes à une juste critique.

Cela paraîtra plus clairement si l’on joint à la description que j’ai donnée [1] de l’espèce de ma cause, cette considération-ci, que j’ai évité les trois choses dont il fallait s’abstenir pour ne pas s’exposer à des plaintes bien fondées.

En premier lieu, partout où j’ai parlé de mon chef, j’ai évité les mots et les expressions qui choquent la civilité et la bienséance commune. Cela suffit dans un ouvrage tel que celui-ci, mêlé d’histoire, et de discussions de toute espèce ; car de prétendre qu’une compilation où il doit entrer des matières de littérature, de physique, et de jurisprudence, selon les divers sujets que l’on a en main, doit être écrite conformément à l’étroite bienséance d’un sermon, ou d’un ouvrage de piété, ou d’une nouvelle galante, ce serait confondre les limites des choses, et ériger une tyrannie sur les esprits. Tel mot, qui semblerait trop grossier dans la bouche d’un prédicateur, et dans un petit roman destiné pour les ruelles, n’est point trop grossier dans le factum d’un avocat, ni dans le procès verbal d’un médecin, ni dans un ouvrage de physique, ni même dans un ouvrage de littérature, ou dans la version fidèle d’un livre latin, comme est par exemple la relation de l’infortune de Pierre Abélard. Il y a donc du haut et du bas dans la bienséance du style : les plus hauts degrés conviennent à un certain nombre d’écrivains, et non pas à tous. Si un bel esprit était prié par des dames de leur composer une historiette romanesque des actions de Jupiter ou d’Hercule, il ferait bien de ne se servir jamais des termes châtrer, dépuceler, engrosser, faire un enfant, coucher avec une nymphe, la forcer, la violer ; il devrait, ou mettre à l’écart toute occasion de présenter ces idées, ou les tenir en éloignement par des expressions suspendues, vagues, et énigmatiques. Mais si les auteurs d’un dictionnaire historique, où l’on attend la version exacte de ce que l’ancienne mythologie raconte des actions de Jupiter, se servaient de longs détours et de phrases recherchées, qui donneraient à deviner le destin de telles et de telles nymphes, ils seraient traités de précieux, et de précieux ridicules. Ils remplissent assez tous les devoirs de la bienséance, pourvu qu’ils se tiennent dans les bornes de la civilité ordinaire ; c’est-à-dire pourvu qu’ils n’emploient pas des mots abandonnés à la canaille, et dont même un débauché ne se sert pas dans une conversation sérieuse. Ils se doivent servir hardiment de tous les mots qui se trouvent dans le Dictionnaire de l’académie française, ou dans celui de Furetière, à moins que l’on n’y soit averti

  1. Ci-dessus, pag. 327, num. IX.