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SUR LES OBSCÉNITÉS.

péché [1]. Leur censure est fondée sur ces deux raisons : l’une, qu’il n’était point nécessaire de rapporter une circonstance qui applique à des objets si grossiers ; l’autre, qu’au pis aller, il fallait omettre toutes les paroles qui sont après mutilés, ce seul mot faisant assez clairement entendre la chose. Je prie tous ces censeurs de ne trouver pas mauvais que je croie que la circonstance qu’ils auraient voulu que l’on supprimât est de celles qu’un historien ne doit jamais oublier : car si la peine d’un malfaiteur contient quelque chose d’extraordinaire, c’est de cela principalement que l’on doit faire mention. La seconde remarque ne me paraît pas meilleure. Un arrêt de mort pourrait porter que l’on couperait les mains, le nez, les oreilles au criminel avant que de le faire mourir, et ainsi le mot mutiler ne marquerait pas suffisamment la circonstance dont M. de Mézerai nous devait instruire. Mais supposons que ce mot fût suffisant, s’ensuit-il qu’on soit blâmable d’avoir ajouté les autres ? Ne dit-on pas tous les jours, j’ai vu cela de mes propres yeux, j’ai entendu cela de mes oreilles ? Il y a bien du superflu dans ces expressions, et néanmoins personne ne les critique. Enfin je dis que les censeurs se contredisent : ils ne blâment l’addition qu’à cause qu’elle n’est pas nécessaire ; on eût assez entendu sans cela, disent-ils, de quoi il était question. Ils ne sont donc point fâchés que l’on imprime dans l’esprit une image sale, ils voudraient seulement que l’on épargnât aux oreilles deux ou trois sons. On aurait été édifié de leur zèle pour la pureté si l’on eût cru qu’ils voulaient absolument qu’un historien ne présentât point aux lecteurs une idée obscène : mais ils consentent ensuite à cela, pourvu qu’on le fasse sans employer des paroles inutiles. Ils détruisent donc dans la dernière remarque ce qui pouvait être d’édifiant dans la première. Voilà à quoi se réduit ordinairement le goût délicat de nos puristes. Ils condamnent une expression, et en approuvent une autre, quoiqu’elles excitent la même idée d’impureté dans l’âme des auditeurs ou des lecteurs. Les observations imprimées à Paris, l’an 1700, contre M. de Mézerai, plairont fort à ces critiques. Voyez la note [2]. On l’y blâme [3] de se servir ordinairement des termes de concubine, de bâtard et d’adultère, qui blessent la délicatesse de notre siècle. On ne condamnerait pas, je m’assure, les termes de favorite, d’enfant naturel, et d’infidélité conjugale, qui sont tout-à-fait de la même signification. Quelle inconséquence !

IX. On trouverait moins déraisonnables les caprices de la

  1. C’est au IIe. tome de l’Abrégé chronologique, à l’ann. 1313, au sujet des belles-filles du roi Philippe le Bel.
  2. Sur ce que Mézerai dit qu’un prêtre fut déposé parce qu’on l’avait surpris avec une femme, et mutilé des parties qui sont inutiles à un bon ecclésiastique : l’auteur des Observations, pag. 64, le questionne de cette manière : « N’eût-il pas parlé avec bien plus de bienséance, s’il eût dit seulement qu’il fut mutilé ? n’eût-on pas bien entendu le reste ? En tout cas, il pouvait trouver une expression moins scandaleuse. »
  3. Pag. 18 et 19.