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ÉCLAIRCISSEMENT

J’avertirai mes lecteurs qu’on trouve en divers endroits de ce Dictionnaire mon apologie [1] tout auprès des choses qui peuvent choquer les esprits tendres.

  1. Principalement à l’égard des obscénités.

(A) Quelque rigide que soit M. Chevreau sur le chapitre des mots obscènes... il n’a point parlé selon ses principes. ] Immédiatement après avoir dit avec le maréchal de Bassompierre, que [a] tous les hommes portent la clef du trésor, c’est-à-dire de la virginité des dames, il assure que faire des enfans est une manière de parler obscène, [b] et que l’on ne doit jamais s’en servir devant les dames qui ont les oreilles délicates. Voilà deux observations qui n’étaient point propres à s’entretoucher. En voici une qui est un mensonge : Les Latins, continue-t-il, ont eu la même délicatesse pour liberis dare operam, ce qui a été remarqué dans la seizième lettre du livre neuvième de Cicéron à Papirius Pétus, où l’on pourra encore voir pourquoi on a dit plutôt nobiscum que cum nobis. Au lieu de la seizième lettre il fallait citer la vingt-deuxième ; mais cela n’eût remédié qu’au plus petit mal, puisqu’il est faux que Cicéron dise ce qu’on lui impute. Il ne dit rien ni de nobiscum ni de cum nobis [c], et il assure que liberis dare operam est une expression honnête [d]. M. Chevreau ajoute qu’il a ouï dire autrefois à une dame, C’est un homme qui n’a plus sa fortune en vue, et qui ne pense qu’à bâtir des enfans, dont le grand nombre le ruinera. Une dame, qui se sert de l’expression bâtir des enfans, ne pourrait pas trouver mauvais qu’on se servit devant elle de la phrase faire des enfans : et ainsi M. Chevreau travaille lui-même à sa réfutation. Il a trouvé des obscénités dans les poésies de Malherbe, à cause de quelques mots qui ont double sens [e], mais qui n’ont été pris par Malberbe qu’au sens honnête. M. Ménage a dit là-dessus, et sur ce que Saint-Amant trouvait sale cet hémistiche du même poëte, qu’on survit à sa mort, « qu’il faut avoir l’imagination étrangement gâtée, pour trouver dans les auteurs de semblables ordures. Quòd si recipias, nihil loqui tutum est, dit Quintilien, au sujet de celui qui trouvait une obscénité en ces mots de Virgile, Incipiunt agitata tumescere [f].… Mais, pour revenir à notre vers de Malherbe, Je veux bander, etc., ceux qui y trouvent quelque obscénité ont encore plus de raison que ceux qui en trouvaient dans Térence et dans Salluste, le mot d’aures et celui d’animos ôtant toute équivoque [g]. » M. Chevreau a répondu [h], qu’il faut être aveugle pour ne pas voir ces sortes de choses, et que quand on ne s’aperçoit pas de ces ordures, c’est un témoignage que l’on y est fort accoutumé... On ne cherche pas ces ordures dans les livres ; et l’on en rougit quand on les y trouve. Qu’aurait pu dire M. Ménage, si, après avoir approuvé dans ses changemens mon observation, il avait lu dans un petit livre que je viens de lire, Je suis convaincu qu’on examine aujourd’hui les choses, etc., et dans un autre, On vit dans le consistoire tout autrement ? S’il est honteux de faire voir ces obscénités, il est encore plus honteux de les écrire ; et pour les faire éviter, on est forcé de les découvrir. Peu après il blâme cette expression de Malherbe, elle était paraissante jusques au nombril : il prétend [i] que ce dernier mot est même de ceux que l’on ne peut plus écrire fort honnêtement... Ce mot, dans le sens propre, n’appartient qu’aux médecins et aux sages-femmes qui disent les

  1. Chevræana, Ire. part., pag. 350.
  2. Conférez ce qu’a dit M. Arnauld dans la Défense de la traduction de Mons, lib. IV, chap. II, pag. 334.
  3. Notez que Quintilien, liv. VIII, chap. III, observe qu’au lieu de cum notis hominibus il fallait dire cum hominibus notis.
  4. Liberis dare operam quàm honestè dicitur, Cicero, epist. XXII, lib. IX, ad Famil., pag. 58, edit. Grævi.
  5. Chevræana, IIe. part., pag. 122.
  6. Ménage, Observ. sur Malherbe, p. 388.
  7. Là même, pag. 581.
  8. Chevræana, IIe. part., pag. 123.
  9. Là même, pag. 124. Notez que Girac. dans sa Réplique à Costar, sect. VIII, pag. m. 74, a trouvé trop lascive cette expression de Costar, la cuisse d’un jeune garçon si blanche et si bien formée.