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ZÉNON.


Ces vers de Timon sont moins tronqués dans Diogène Laërce : je les copie selon l’édition d’Amsterdam :

Ἀμϕοτερογλώσσου τε μέγα σθένος οὐκ ἀλαπαδνὸν
Ζήνωνος πάντων ἐπιλήπτορος, ἠδὲ Μελίσσου,
Πολλῶν ϕαντασμῶν ἐπάνω, παύρων γε μὲν εἵσω[1].

Expressitque Plato vires utriusque periti
Linguæ Zenonis, jurgatorisque Melissi,
Phantasias qui aluit pauces, multasque subegit[2].


On voit là un homme qui critiquait tout, qui renversait beaucoup d’opinions, et qui en gardait très-peu pour lui. S’il n’était point le Palamède dont Platon a dit quelque chose, il lui ressemblait parfaitement. Ce Palamède discourait avec un tel artifice, qu’il rendait probable à ses auditeurs le pour et le contre : il leur faisait voir que les mêmes choses se ressemblaient et ne se ressemblaient pas, qu’elles n’étaient qu’une et qu’elles étaient diverses ; qu’elles étaient en repos et en mouvement. Τὸν οὖν Ἐλεατικὸν Παλαμήδην λέγοντα οὐκ ἴσμεν τέχνῃ, ὥςε δοκεῖν ϕαίνεσθαι τοῖς ἀκούουσι τὰ αὐτὰ ὅμοια καὶ ἀνόμοια, καὶ ἓν καὶ πολλά, μένοντά τε αυ καὶ ϕερόμενα. Enim verò Eleatem Palamedem artificio suo efficere solitum accepimus, ut eadem audientibus similia et dissimilia, unum et multa, manentia et fluentia viderentur[3]. Diogène Laërce[4] débite que Zénon a été nommé le Palamède d’Élée dans le sophiste de Platon ; mais M. Ménage l’accuse de deux erreurs. Il montre qu’il n’est point parlé de ce Palamède dans cet ouvrage de Platon, mais dans le dialogue intitulé Phèdre ; et puis il montre, par le témoignage de Quintilien, que ce Palamède est le rhéteur Alcidamas. Quæ non de Zenone Eleate, verùm de Alcidamente intelligenda sunt, si fides Quintiliano. Ita enim ille libro II, Institut. oratoriarum capite I, ubi de scriptoribus artis rhetoricæ : Et Hippias Eleus, et quem Palamedem Plato appellat, Alcidamas Eleates[5].

(C) Cette affaire est rapportée avec mille variations. ] Le tyran d’Élée qu’il voulut perdre s’appelait Néarque, selon quelques-uns, et Diomédon selon quelques autres[6]. Plutarque le nomme Démylus, comme on le verra dans la suite : Tertullien le nomme Denys, et le prend, sans doute par une erreur de chronologie, [7] pour ce tyran de Syracuse qui sous le nom de Denys se trouve dans les auteurs à tous momens. Zeno Eleates, dit-il vers la fin de son Apologétique, consultus à Dionysio, quidnam philosophia præstaret, cùm respondisset, contemptum mortis, impassibilis flagellis tyranni objectus, sententiam suam ad mortem usque signabat. Voilà déjà un témoin de la constance admirable de ce philosophe. Je crois que Tertullien a mis la scène de tout ceci[8] non pas à Élée, comme il eût fallu, mais à Syracuse. D’autres la mettent dans l’île de Cypre, et se trompent d’ailleurs quant à la personne tourmentée, et quant au tyran. Ducebatur intrepidus (Eusebius) temporum iniquitati insultans, imitatus Zenonem illum veterem stoïcum qui ut mentiretur quædam laceratus diutiùs, avulsam sedibus linguam suam cum cruento sputamine in oculos interrogantis Cyprii regis impegit[9]. La note de M. de Valois sur ce passage de Marcellin vous apprendra les erreurs de l’historien ; et si vous consultez M. Ménage[10], vous trouverez une conjecture très-heureuse sur la cause de ces méprises. L’action même de Zénon est diversement rapportée. Les uns disent qu’étant sommé de déclarer ses complices, il assura que tous les amis du tyran avaient eu part au complot. Il en usa de la sorte, afin de le faire voir

  1. Diod. Laert., lib. IX, num. 25.
  2. Cette traduction fut faite sur un exemplaire où le grec portait : Ζήνωνός τε Πλάτων ἐπιλήπτορος, au lieu de Ζήνωνος πάντων ἐπιλήπτορος.
  3. Plato. in Phædro, pag. 1231.
  4. Diog. Laert., lib. IX, n. 25.
  5. Menagius in Diogenem Laert., lib. IX, num. 25, pag. 403, col. 2.
  6. Diog. Laert., lib. IX, num. 26.
  7. Antiquior Zeno Eleates Dionysio tyranno centum quinquaginta annis circiter. Menag., ibid., pag. 404.
  8. Je veux dire qu’il a pensé que tout ceci se passa dans Syracuse.
  9. Ammian. Marcellin., lib. XIV, cap. IX, pag. 46.
  10. Menagius in Diogenem Laert., lib. IX, num. 26.