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ZÉNON.

suffit à mon dessein. J’eusse examiné tout ceci avec plus de précision, si j’eusse donné l’article de Phalaris. J’étais prêt à le commencer, lorsque j’appris qu’un digne neveu du très-illustre M. Boyle avait publié la Vie de ce tyran. Je la fis chercher partout sans la trouver, et cela fut cause que je laissai cet article : je le renvoyai à un temps où je pusse profiter des lumières de cet auteur, dont je ne connais encore[1] l’ouvrage que par les extraits des journalistes. Quoi qu’il en soit, nous pouvons croire que Valère Maxime n’a point parlé de deux Zénons sans quelque coup de réflexion. Il aura su que Néarque a vécu après Phalaris ; de sorte que s’étant trompé en faisant Zénon d’Élée [2] contemporain de Phalaris, il n’aura pu se persuader que le Zénon qui avait voulu chasser Néarque fût le même qui avait fait un complot contre le tyran des Agrigentins.

Notez que plusieurs critiques veulent que Sénèque ait parlé de notre Zénon d’Élée lorsqu’il a dit, Notus est ille tyrannicida, qui imperfecto opere comprehensus, et ab Hippiâ tortus, ut conscios indicaret, circumstantes amicos tyranni nominavit, quibus quàm maximè caram salutem ejus sciebat. Et cùm ille singulos, ut nominati erant, occidi jussisset, interrogavit : Ecquis superesset ? Tu, inquit, solus : neminem enim alium, cui carus esses, reliqui. Effecit ira, ut tyrannus tyrannicidæ manus commodaret, et præsidia sua gladio suo cæderet[3]. Mais n’en déplaise à Muret et à Juste Lipse, je crois que Sénèque a voulu parler de quelqu’un de ceux qu’Hippias, fils de Pisistrate, fit torturer. Je ne crois point que Sénèque ait eu en vue Zénon d’Élée, quoiqu’il rapporte ce que d’autres attribuent à ce Zénon. C’est sa coutume, et celle de plusieurs auteurs, d’appliquer à certaines gens ce que l’on a dit de quelques autres.

(D) Je n’ai que deux péchés de commission à reprocher à M. Moréri. ] Le premier est qu’il a cité Diogène au liv. IX. de Hist. Græc. et de Sect. Philos. Or il n’est point vrai que Diogène ait fait des livres de l’Histoire grecque ou des Historiens grecs, ni que l’ouvrage qu’on a de lui soit intitulé, de Sectis Philosophorum. Il a pour titre, de Vitis, Dogmatis et Apophthegmatis clarorum Philosophorum, libri X. La seconde faute est de dire que Diogène parle de sept autres Zénons, dont il n’a point donné la vie. Car l’un de ces autres est Zénon le Cittien, chef des stoïques, duquel Diogène nous donne la vie très-amplement.

(E) Je ne saurais croire qu’il ait soutenu qu’il n’y a rien dans l’univers. ] Je me défie donc de Sénèque qui lui attribue ce sentiment ; Juste Lipse s’en est défié aussi. Audi, quantùm mali faciat nimia subtilitas, et quàm infesta veritati sit Protagoras ait, de omni re in utramque partem disputari posse, ex æquo, et de hâc ipsâ, an omnis res in utramque partem disputabilis sit. Nausiphanes ait, ex his quæ videntur esse, nihil magis esse, quàm non esse. Parmenides ait, ex his quæ videntur, nihil esse in universum. Zenon Eleates omnia negotia de negotio dejecit, ait nihil esse. Circa eadem ferè pyrrhonii versantur, et Megarici, et Eretrici, et academici, qui novam induxerunt scientiant, nihil scire. Hæc omnia in illum supervacuum studiorum liberalium gregem conjice. Illi mihi non profuturam scientiam tradunt, hi spem omnis scientiæ eripiunt : satius est supervacua scire, quàm nihil. Illi non præferunt lumen, per quod acies dirigatur ad verum : hi oculos mihi effodiunt. Si Protagoræ credo, nihil, in rerum naturâ est, nisi dubium : si Nausiphani, hoc unum certum est, nihil esse certi : si Parmenidi, nihil est præter unum : si Zenoni, ne unum quidem. Quid ergò nos sumus ? quid ista quæ nos circumstant, alunt, sustinent ? Tota rerum natura umbra est, aut inanis, aut fallax. Non facilè dixerim, utrùm magis irascar illis, qui nos nihil scire voluerunt, an illis, qui nos hoc quidem nobis reliquerunt, nihil scire[4]. J’ai rapporté un peu au long les paroles de Sénèque, afin

  1. On écrit ceci l’an 1696.
  2. Il le suppose même fort vieux au temps du complot.
  3. Seneca, de Irâ, lib. II, cap. XXIII, p. m. 541. Voyez là-dessus les commentateurs.
  4. Idem, epist. LXXXVIII, pag. m. 361.