Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T15.djvu/450

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
442
URCÉUS CODRUS.

nant ensuite vers une image de la Vierge : Vierge, dit-il, écoute ce que je te dis sans emportement et du fond du cœur, si par hasard à l’heure de la mort je venais humblement à toi pour implorer ton secours, ne m’écoute point, je te prie, et ne me mets point au nombre des tiens, j’ai résolu d’aller demeurer dans les enfers. » Voici les propres termes de son historien : Ad primum incendii nuntium, tantam animo imbibisse iram, ut exclamans veluti furore quodam concitus ad regiam usque præcipiti gradu ire pergeret : pro foribusque cubiculi adstans (neque enim ob incendium latè cuncta depopulans ingredi licebat) : Quodnam ego, inquit, tantum scelus concepi, Christe ? quem ego tuorum unquàm læsi, ut ita inexpiabili in me odio debaccheris ? Conversus postmodùm ad simulacrum Virginis : audi, Virgo, aït, ea quæ tibi mentis compos et ex animo dicam, si fortè cùm ad ultimum vitæ finem pervenero, supplex accedam ad te opem oratum, neve audias, neve inter tuos accipias, oro : cùm in Infernis diis in æternum vitam agere decrevi. Ceux qui étaient présens tâchaient d’adoucir sa colère, mais il n’écoutait rien : il pria fortement ses amis de ne le point suivre, et s’en alla comme un fou d’un pas précipité s’enfoncer en une vaste forêt, où il passa le reste du jour dans une affliction extrême. Comme il revenait le soir à la ville, il trouva ses portes fermées ; il se coucha sur un tas de fumier, où il attendit le retour du lendemain. À la pointe du jour étant rentré dans la ville, il fut se cacher dans la maison d’un menuisier, où il demeura six mois seul et sans livres.

Après la mort du prince de Forli, et de Sinibaldo, son fils, qui mourut six mois après lui, Codrus resta encore dix mois en cette ville, incertain du parti qu’il prendrait. Ensuite il alla à Bologne, où il fut choisi pour professer en l’université les langues grecque et latine, et la rhétorique. Il y resta toujours depuis, et y mourut l’an 1500 dans le monastère de Saint-Sauveur, où il avait voulu être transporté. Codrus était alors âgé de cinquante-quatre ans.

Le jour qui précéda celui de sa mort, ses disciples à genoux devant lui, les yeux baignés de larmes, le prièrent si instamment de leur dire quelque chose qui fût digne de lui, qu’il se trouva forcé de se rendre à leur prière. L’historien de sa vie rapporte un discours qu’il dit que Codrus fit alors : ce discours est une exhortation à la vertu ; mais il est si long et si compassé, qu’on a lieu de soupçonner Blanchini de l’avoir embelli. Codrus y donne des marques d’une extrême vanité. Il dit à ses disciples : Priez Dieu que vous puissiez être semblables à moi. Le jour qu’il mourut, il fit encore un petit discours, où il prouve que la mort est le souverain bien. Il se plaignait de ce qu’avant que de mourir il n’avait pu écrire ce qu’il avait résolu : « Si je meurs, disait-il, car je sens bien que je touche à l’heure de ma mort, hélas ! que de