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ZÉNON.

que l’on peut tirer de la circonférence du plus grand cercle trouvent place sur la circonférence du plus petit. Ces objections n’ont pas plus de force contre le continu composé de points, que contre le continu divisible à l’infini ; car si les parties d’une certaine étendue ne sont pas en plus grand nombre dans la ligne diagonale que dans les côtés, ni dans la circonférence du plus petit cercle concentrique, que dans la circonférence du plus grand, il est clair que les côtés du carré égalent la diagonale, et que le plus petit cercle concentrique égale le plus grand. Or toutes les lignes droites que l’on peut tirer de l’un des côtés d’un carré à l’autre, et de la circonférence du plus grand cercle au centre, sont égales entre elles : il les faut donc considérer comme des parties aliquotes, je veux dire comme des parties d’une certaine grandeur et d’une même dénomination. Or il est certain que deux étendues où les parties aliquotes et de même dénomination, comme pouce, pied, pas, sont en pareil nombre, ne se surpassent point l’une l’autre : il est donc certain que les côtés du carré seraient aussi grands que la ligne diagonale, s’il ne pouvait point passer plus de lignes droites par la ligne diagonale que par les côtés. Disons la même chose des deux cercles concentriques. En second lieu, je soutiens qu’étant très-vrai que s’il existait des cercles, on pourrait tirer de la circonférence au centre autant de lignes droites qu’il y aurait de parties à la circonférence, il s’ensuit que l’existence d’un cercle est impossible. On m’avouera, je m’assure, que tout être qui ne saurait exister sans contenir des propriétés qui ne peuvent exister est impossible : or une étendue ronde ne peut exister sans avoir un centre auquel viennent aboutir tout autant de lignes droites qu’il y a de parties dans sa circonférence ; et il est certain qu’un tel centre ne peut exister : il faudrait donc dire que l’existence de cette étendue ronde est impossible. Qu’un tel centre ne puisse exister, je le prouve manifestement. Supposons une étendue ronde dont la circonférence ait quatre pieds : elle contiendra quarante-huit pouces, dont chacun contient douze lignes : elle contiendra donc cinq cent soixante-seize lignes ; et voilà le nombre de lignes droites qu’on pourra tirer de cette circonférence au centre. Traçons un cercle fort proche du centre ; il pourra être si petit qu’il ne contiendra que cinquante lignes ; il ne pourra donc point donner passage à cinq cent soixante-seize lignes droites ; il sera donc impossible que les cinq cent soixante-seize lignes droites qui ont commencé d’être tirées de la circonférence de cette étendue ronde parviennent au centre : et cependant si cette étendue existait, il faudrait nécessairement que ces cinq cent soixante-seize lignes parvinssent au centre. Que reste-t-il donc à dire, sinon que cette étendue ne peut exister, et qu’ainsi toutes les propriétés des cercles, et des carrés, etc., sont fondées sur des lignes sans largeur qui ne peuvent exister qu’idéalement ? Notez que notre raison et nos yeux sont également trompés dans cette matière. Notre raison conçoit clairement, 1°. que le cercle concentrique plus voisin du centre est plus petit que le cercle qui l’environne ; 2°. que la diagonale d’un carré est plus grande que le côté. Nos yeux le voient sans compas, et encore plus certainement avec le compas ; et néanmoins les mathématiques nous enseignent que l’on peut tirer de la circonférence au centre autant de lignes droites qu’il y a de points dans la circonférence, et d’un côté du carré à l’autre, autant de lignes droites qu’il y a de points dans ce côté : et d’ailleurs nos yeux nous montrent qu’il n’y a dans la circonférence du petit cercle concentrique aucun point qui ne soit une partie d’une ligne droite tirée de la circonférence du grand cercle, et que la diagonale du carré n’a aucun point qui ne soit une partie d’une ligne droite, tirée d’un des côtés du carré à l’autre. D’où peut donc venir que cette diagonale est plus grande que les côtés ?

Voilà pour ce qui concerne la première preuve dont je suppose que Zénon eût pu se servir pour réfuter l’existence du mouvement. Elle est fondée sur l’impossibilité de l’existence de l’étendue. On verra ci-des-