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VIE DE M. BAYLE.

jamais, et que l’hérésie masquée ne devienne plus dangereuse. Rien n’est plus louable que le dessein de convertir les hérétiques et les infidèles ; mais la manière dont on s’y prend est fort nouvelle, et puisque Notre-Seigneur ne s’est pas servi de cette méthode pour convertir le monde, elle ne doit pas être la meilleure.

» J’admire et ne comprends pas ce zèle et cette politique qui me passent, et je suis de plus ravie de ne les comprendre pas. Croyez-vous que ce soit à présent le temps de convertir les huguenots, de les rendre bons catholiques dans un siècle où l’on fait des attentats si visibles en France contre le respect et la soumission qui sont dus à l’église romaine, qui est l’unique et l’inébranlable fondement de notre religion, puisque c’est à elle à qui Notre-Seigneur a fait cette promesse, que les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle ? Cependant jamais la scandaleuse liberté de l’église gallicane n’a été poussée plus près de la rébellion qu’elle est à présent. Les dernières propositions signées et publiées par le clergé de France sont telles, qu’elles n’ont donné qu’un trop apparent triomphe à l’hérésie ; et je pense que sa surprise doit avoir été sans égale, se voyant peu de temps après persécutée par ceux qui ont sur ce point fondamental de notre religion des dogmes et des sentimens si conformes aux siens.

» Voilà les puissantes raisons qui m’empêchent de me réjouir de cette prétendue extirpation de l’hérésie. L’intérêt de l’église romaine m’est sans doute aussi cher que ma vie ; mais c’est ce même intérêt qui me fait voir avec douleur ce qui se passe, et je vous avoue aussi que j’aime assez la France pour plaindre la désolation d’un si beau royaume. Je souhaite de tout mon cœur de me tromper dans mes conjectures, et que tout se termine à la plus grande gloire de Dieu et du roi votre maître. Je m’assure même que vous ne douterez pas de la sincérité de mes vœux, et que je suis, etc. »

Dans ce même mois [1] il dit : Nous avons été assurés de bonne part que la reine Christine a écrit la lettre que nous avons insérée ci-dessus. Et dans celui de juin [2] il dit encore : On nous confirme de jour en jour ce que nous avons touché dans le dernier mois, que Christine est le véritable auteur de la lettre qu’on lui attribue contre les persécutions de France. C’est un reste de protestantisme.

Peu de temps après, M. Bayle reçut la lettre suivante.

« Monsieur,

» Vous ne trouverez pas mauvais, j’espère, que l’on vous donne un petit avis qui pourra dans la suite vous être de quelque utilité, comme vous verrez. Vous êtes un homme

  1. Art. Ier. des livres nouveaux, p. m. 592.
  2. Art. VI des livres nouveaux, p. m. 726.