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VIE DE M. BAYLE.

son que la moindre chose ne le piquât, et ne fût prise, venant d’une telle main, pour une insulte. »

M. Jurieu fut en effet extrêmement irrité contre ce projet de paix ; mais il ne se posséda plus lorsque le sieur Acher lui apprit que cet écrit avait été envoyé depuis long-temps à M. Bayle, et qu’il lui raconta ce qui s’était passé entre M. Bayle et lui, au sujet du manuscrit. Toujours plein de visions, et devenu furieux contre M. Bayle, il bâtit un système mille fois plus chimérique que le chimérique projet de paix. Il mit à la tête de son Examen de l’Avis aux réfugiés, un Avis important au public, où il déclara que « tout ce qu’il avait dit du dessein de l’auteur de l’Avis aux réfugiés n’était que les efforts d’un esprit qui ne voyait encore goutte dans un lieu ténébreux. Il est vrai, ajouta-t-il, qu’il y avait de l’éblouissement, et l’on a peine à comprendre à présent comment dès l’abord on n’a pas au moins deviné tout le mystère [1]... Ceux qui sont suspects, et qui le doivent être, n’ont pas trouvé un meilleur moyen de justifier leurs amis que ce mot cuibono ? Et j’avoue que ce nœud me donnait à moi-même un scrupule qui ne me laissait à la vérité nullement douter de la source du livre, mais qui me jetait dans l’embarras, quand enfin Dieu, qui veut que les mystères d’iniquité se découvrent, a permis qu’une autre découverte imprévue nous ait donné lieu de pénétrer plus avant. On saura donc que ce n’est pas ici l’ouvrage d’un particulier qui ait dessein de défendre l’autorité des rois. Ceux qui se sont imaginé cela, continue-t-il, se sont trompés [2]. C’est ici l’ouvrage d’une cabale qui s’étend du midi au nord, et qui a son centre dans Paris et à la cour de France [3]. » Il ajoutait qu’il y avait à Genève un parti français qui se couvait sous les ombres du résident de France ; que dans ce parti il y avait des gens de toute condition et de tout caractère ; et que cette cabale communiquait avec une autre toute semblable qui était en Hollande [4]. Que ces deux partis français de Genève et de Hollande communiquaient ensemble ; qu’ils avaient un même but, qui était de tirer la France d’affaire par une paix aussi avantageuse qu’elle le pourrait souhaiter ; que leur dessein était de désunir les alliés, et d’inspirer aux peuples contre leurs souverains un esprit de révolte qui forçât les alliés à recevoir la paix aux conditions qu’on leur voudrait donner ; et enfin, que ces deux partis ne faisaient rien que de concert avec la cour de France, et par son ordre [5]. Que conformément aux vues et aux instructions de cette cour, M. Bayle, qui était le chef de la cabale du nord, avait écrit l’Avis aux réfugiés,

  1. Avis important au public, p. 3, 4.
  2. Ibid., p. 5.
  3. Ibid., p. 7.
  4. Ibid., p. 7, 8, 9.
  5. Ibid., p. 42, 43.