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VIE DE M. BAYLE.

à leur équité et à leur sagesse. Ils exhortèrent tant M. Bayle que M. Jurieu à s’accorder le plus tôt que faire se pourrait ; et leur défendirent de rien écrire l’un contre l’autre qui n’eût été examiné par M. Bayer, pensionnaire de la ville. Ils défendirent aussi la continuation des petits libelles anonymes qui avaient été publiés à Rotterdam contre la Cabale chimérique [1]. » Nous parlerons bientôt de ces libelles.

Ce que M. Jurieu avait dit sur la prétendue cabale de Genève lui attira l’indignation et le mépris de toute cette ville. Voici ce qu’un des syndics écrivit là-dessus à un de ses amis en Hollande [2] : Je vous dirai, monsieur, que l’on a été scandalisé en ce pays de la manière d’écrire de M. Jurieu, et qu’il s’est perdu de réputation parmi tout ce qu’il y a d’honnêtes gens et de bon sens. On ne peut concevoir ce qui l’a obligé d’écrire comme il l’a fait contre cette ville. Ce qu’il en a dit est absolument faux et inventé à plaisir. Tout ce qu’il y a de vrai est qu’un nommé Goudet, marchand, s’est voulu mêler d’écrire certains projets de paix, etc. Voici encore l’extrait d’une lettre écrite par un particulier [3] : « Il n’est pas possible, dit-il, que l’on ne regarde avec indignation un homme qui, toujours plein d’un noir venin, mord sans discernement tout ce qui se rencontre à son passage et amis et ennemis, jusques aux états même. Que lui a fait le magistrat de Genève, pour tâcher comme il fait de le brouiller avec son peuple et de le mettre mal auprès de tous les protestans et des confédérés ? Mais tout ce que je puis vous dire sur cela, monsieur, c’est qu’on a regardé ici ses calomnies avec un profond mépris. »

M. Minutoli écrivit à M. Jurieu une lettre très-forte sur le même sujet. Je ne sais, dit-il [4], si nos conseils et tant de personnes importantes, si indignement traitées sur un point qui intéresse aussi avant leur conscience et leur honneur, ne chercheront point à vous donner toutes les plus mortifiantes preuves de leur juste ressentiment ; mais je sais très-bien qu’il faudrait que j’eusse oublié toutes les règles de la justice, si je ne me mettais pas aux champs en faveur de M. Bayle ; qui, par l’aventure que je vous dirai, tient uniquement de moi pour ce fait, ce dont il vous plaît de lui faire un si grand crime. Il faisait ensuite un détail de tout ce qui s’était passé entre M. Bayle et lui, au sujet du Projet de paix, détail qui était parfaitement conforme au narré que M. Bayle en avait donné dans sa Cabale chimérique, et que j’ai rapporté ci-dessus. Il reprochait à M. Jurieu de ce que, sur des conjectures frivoles, il l’avait placé aussi-bien que M. Bayle dans sa prétendue cabale. En conscience, voudriez-vous bien, lui disait-il, que sur quelques

  1. Chimère démontrée, p. 4.
  2. Ibid., préf., p. xxxv, xxxvj.
  3. Ibid., p. xxxvj, xxxvij.
  4. Lettre de M. Minutoli à M. Jurieu, du 19 au 29 de mai 1691 ; dans la Chimère démontrée, etc., p. 189, 190.