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VIE DE M. BAYLE.

mées. Une infinité d’honnêtes gens sont ici dans l’indignation d’une conduite si violente, et qui ne se pratique point dans l’église romaine : car on y écoute un auteur accusé d’hétérodoxie, et on l’admet à donner des éclaircissemens, ou à rétracter ses erreurs. Cela, mon cher cousin, doit diminuer vos regrets de n’être point sorti de France. Vous serez cent fois meilleur réformé si vous ne voyez notre religion qu’où elle est persécutée : vous seriez scandalisé si vous la voyiez où elle domine. Venons à la cause de ma disgrâce.

» Vous devez savoir que le gouvernement républicain a cela de propre, que chaque ville ou chaque bourg est composé de deux ou de plusieurs factions. En Hollande il y a partout deux partis : l’un est très faible en crédit, mais composé de gens de bien et d’honneur ; l’autre domine fièrement, et abuse presque toujours de sa fortune. J’avais, en venant ici, mes patrons, mes bienfaiteurs, ceux qui m’accueillaient civilement, dans le parti faible, qui n’était pas alors si faible : j’ai toujours cultivé leur amitié, et ne me suis point accommodé aux maximes des courtisans. Je n’ai point cherché à m’insinuer dans l’esprit de ceux de l’autre parti, qui s’élevaient de jour en jour ; cela m’eût paru d’une âme lâche et vénale. Ainsi une bourrasque étant survenue dans cette ville il y a plus d’un an, qui renversa une partie de nos magistrats, à la place desquels on en substitua d’autres de ce parti tout puissant, la balance n’a pu être égale ; et pour montrer ce qu’on pouvait faire contre ceux qui ne rampent pas devant ces nouveaux venus et persistent dans leurs liaisons avec leurs anciens amis, on m’a cassé aux gages. Et comme le prétexte était de prétendues doctrines dangereuses à la jeunesse, il a fallu qu’on ait joint la défense d’enseigner en particulier à celle d’enseigner en public. Par-là on a bouché les deux sources de ma subsistance. Je n’ai jamais eu un sou de mon patrimoine, jamais eu l’humeur d’amasser du bien, jamais été en état de faire des épargnes. Je me fondais sur ma pension que je croyais devoir durer autant que ma vie : mais je vois à cette heure qu’il n’y a rien de ferme en ce monde. Vous pouvez juger que j’avais de grandes raisons de m’inquiéter pour l’avenir dans un pays où il fait cher vivre. Mais, par la grâce de Dieu, je n’ai encore senti nulle inquiétude, mais une parfaite résignation aux ordres d’en haut.

» Vous seriez surpris si je finissais sans vous parler du ministre français qui a écrit : contre moi tant de libelles et tant de calomnies. Je vous dirai que toutes ces calomnies sont tombées par terre, et qu’il n’y a eu que le livre, des Comètes, imprimé il y a près de douze ans, qui ait été mis