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VIE DE M. BAYLE.

tence ; et l’on est communément persuadé qu’il ne prétendait pas trahir ce pays, et qu’il était aussi affectionné au bien de la république que ceux qui ne veulent point la paix ; la différence des uns aux autres ne consistant qu’en ce que les uns croient que la continuation de la guerre est avantageuse, et les autres qu’elle est désavantageuse. Mais, malheureusement pour lui, le commerce avec l’ennemi, et la hardiesse de se mêler, sans une commission spéciale de son souverain, de traiter la paix, est un crime d’état ; ce qui fait dire aux désintéressés que la peine à laquelle le coupable a été condamné est trop douce. Vous ne sauriez croire, ajoute M. Bayle, les espérances que notre prophète avait conçues de la détention de ces messieurs. Il espérait qu’on découvrirait toute la prétendue cabale de Genève ; que vous, que M. Goudet et les syndics qu’il a eus en vue, que MM. Basnage et moi, serions trouvés enveloppés dans les dépositions ; et il se glorifiait déjà d’avoir été le premier qui avait éventé la mine du malheureux complot, disait-il, du projet de paix qui se tramait en Suisse. Mais toutes ses espérances ont été chimériques, selon sa coutume, et il a paru que nous ne songions à rien moins qu’à M. Amelot et à MM. Halewyn. »

Tout innocent qu’était M. Bayle, il ne laissa pas de se ressentir de ces négociations clandestines : elles furent cause de sa disgrâce. Les mouvemens que M. Jurieu s’était donnés auprès des magistrats avaient été inutiles. Il est vrai qu’il avait porté les ministres flamands à agir en sa faveur contre M. Bayle, mais leurs sollicitations n’eurent aucun effet. La régence de Rotterdam avait été changée en 1692 par ordre du roi Guillaume qui déposa sept magistrats, protecteurs de M. Bayle. Cependant ceux qui leur succédèrent n’avaient d’abord aucune mauvaise intention contre lui : ils déclarèrent qu’ils voulaient rendre justice et promirent d’entendre ses raisons en cas de besoin. Mais les secrètes menées de la France firent ressouvenir le roi Guillaume du projet de paix dont M. Jurieu avait fait tant de bruit : et comme on avait procuré la paix de Nimègue par de semblables écrits semés à Amsterdam et ailleurs, il crut qu’on voulait se servir des mêmes voies à Rotterdam. Ce grand prince, qui n’avait pas le temps d’examiner ce projet ridicule, s’alarma sur l’idée de la paix, et s’imagina qu’il y avait, comme le disait M. Jurieu, une cabale pour la faire conclure, dont M. Bayle était le chef connu. Il ordonna aux magistrats de Rotterdam de lui ôter sa charge de professeur et sa pension ; et cet ordre fut exécuté sans qu’on l’eût appelé ni entendu, malgré les promesses qu’on lui avait faites du contraire. Il est très-certain que l’Avis aux réfugiés n’y entra pour rien. Le roi Guillaume ne poussait pas l’attention pour les réfugiés jusques à s’embarrasser des plaintes qu’ils pou-