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VIE DE M. BAYLE.

commune voix ? on le défie de s’en rapporter à leur témoignage. D’où vient que quelques-uns de ses auditeurs, choqués et révoltés contre lui, ont renoncé à l’entendre à l’avenir ? Tant qu’il a marché dans la route ordinaire, il n’a point vu ces sortes de soulèvemens : bien davantage, d’où naissent les difficultés des commissaires de son consistoire pour l’approbation qu’il a demandée ? Comment n’ont-ils pu encore trouver assez de biais et d’adoucissemens pour ne rien risquer ? C’est une présomption bien grande que sa morale les épouvante ; autrement ils auraient accordé l’approbation sans balancer. »

Le jugement de M. Saurin est conforme à celui de M. de Bauval. Ce théologien déclare que « ce qu’on peut dire de plus favorable de ces deux sermons, c’est que toutes les bonnes âmes qui les entendirent en furent scandalisées et pénétrées de douleur, et que les amis de M. Jurieu en furent mortifiés [1]. » Il dit que M. de Bauval avait fort bien remarqué que c’était une mauvaise défaite de prétendre, comme faisait M. Jurieu, qu’il ne voulait pas publier ses sermons, parce que ses dénonciateurs étaient en embuscade et qu’ils avaient préparé leurs batteries pour y trouver des hérésies à quelque prix que ce fût. Il trouve ce prétexte, ridicule. « J’admire, dit-il [2], la bravoure de M. Jurieu, qui refuse fièrement de se battre, parce qu’il voit l’ennemi prêt à lui prêter le collet ; si on ne savait pas d’où il est, on lui donnerait une autre patrie que la sienne. À parler sérieusement, M. Jurieu ne pouvait rien dire de plus pauvre, ni de plus capable de faire triompher ses dénonciateurs. Ou il craignait que ces messieurs trouvassent effectivement des hérésies dans ses sermons, ou il ne le craignait pas : s’il le craignait, il se sentait donc coupable ; s’il ne le craignait pas il devait publier ses sermons incessamment et convaincre ses accusateurs de calomnie à la face de toute la terre. » M. Saurin fortifie ce raisonnement de plusieurs autres réflexions ; et il parle ensuite de l’écrit de M. de Bauval. « On a fait, dit-il [3], des Considérations sur les deux sermons de M. Jurieu, dans lesquelles on réfute ses réflexions, et l’on prouve qu’il a véritablement prêché la haine du prochain et qu’il ne saurait s’en dédire. M. Jurieu, ajoute-t-il, a répliqué à cet ouvrage par un autre qui porte pour titre : Apologie pour les synodes, et pour plusieurs honnêtes gens déchirés dans la dernière satire du sieur de Bauval, intitulée Considérations sur deux sermons, etc. Il semble continue M. Saurin, qu’en faisant l’apologie des autres, et la sienne même sur certains articles, M. Jurieu ne devait pas oublier de faire celle de sa

  1. Examen de la théologie de M. Jurieu, etc., t. II, p. 808.
  2. Ibid., p. 810.
  3. Ibid., p. 827, 828.