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VIE DE M. BAYLE.

la supposition du prince de Galles ; qu’il y régnait partout une obscénité insupportable, que M. Bayle n’avait aucune lecture que des livres modernes de religion, et des hérétiques ; qu’il n’avait pas la moindre connaissance de l’histoire ; que son antiquité et sa littérature roulaient sur des extraits de ce qu’il avait pris dans des traductions françaises, qu’il mesurait ridiculement le moderne avec l’ancien, et comparait l’abbé de Saint-Réal avec Cornélius Nepos, lorsqu’il s’agit du mérite de Pomponius. « On peut juger, dit-il, de la capacité d’un homme qui, dans l’extrait de la Vie de Pomponius Atticus, traduit librarii par libraires. » Cet exemple, que l’abbé Renaudot rapportait de l’ignorance de M. Bayle, est une preuve bien marquée de la précipitation du censeur ; car M. Bayle avait averti à la marge, qu’il faut entendre par ce mot les copistes et les relieurs, selon la manière d’accommoder les livres en ce temps-là.

On voit par-là quel fond il y avait à faire sur le jugement de cet abbé. Il avait parcouru sans attention le Dictionnaire de M. Bayle, et n’y avait rien vu qu’au travers des préjugés qu’il avait conçus contre cet ouvrage. Il était d’ailleurs naturellement décisif, téméraire, violent et emporté contre les protestans. Il se piquait d’une vaste littérature et d’une profonde connaissance de l’antiquité ; mais ceux qui ont examiné ses ouvrages ne conviennent pas que son savoir fût égal à l’opinion qu’il voulait on en eût. On a découvert mille bévues dans son écrit sur l’Origine de la sphère, et montré qu’il n’avait pas même entendu les auteurs qu’il copiait [1]. Cependant on refusa sur son rapport le privilége que les libraires de Paris demandaient pour réimprimer le Dictionnaire de M. Bayle, et on en défendit même l’entrée en France. C’est ce que M. Bayle souhaitait [2]. « Je vous dirai confidemment, écrit-il à un de ses amis [3], que j’ai une joie très-vive de ce que l’on n’a point permis en France l’entrée de mon Dictionnaire, Ce n’est pas par la raison que la défense excitera davantage la curiosité, car nitimur in vetitum. J’ai deux autres raisons, l’une, que si l’on en eût permis l’entrée, les libraires de Lyon l’eussent contrefait et y eussent laissé glisser mille fautes d’impression. Leur édition eût empêché le débit de celle de M. Leers et eût multiplié les exemplaires d’une première édition, toujours défectueuse, quand un gros ouvrage a été fait précipitamment et avec aussi peu de secours de bibliothéques que j’en ai eu. La défense me fait espérer que l’édition unique de M. Leers se débitera, et qu’il en faudra faire une seconde à la correction de laquelle j’em-

  1. Voyez les remarques de M. des Vignoles, sur cet écrit de l’abbé Renaudot : Bibliothéque germanique, t. V, art. XI, p. 153 et suiv.
  2. Voyez la lettre à M. Janiçon, du 11 de février 1697, p. 625, 626.
  3. Lettre de M. ***, du 13 de mai 1697, p. 642, 643.