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VIE DE M. BAYLE.

faut concilier pour établir la concorde de la foi avec la raison. M. Jaquelot croit que toutes les difficultés qui regardent le mal moral se peuvent résoudre par le moyen du libre arbitre, qui, selon lui, « est le pouvoir que l’homme a sur ses actions, de sorte qu’il fait ce qu’il veut, parce qu’il le veut ; si bien que, s’il ne le voulait pas, il ne le ferait pas, et ferait même le contraire. » Un être, dit-il, qui a cette liberté est le plus excellent et le plus parfait de tous les êtres créés : la capacité de faire un bon ou un mauvais usage de son intelligence, et l’empire sur ses actions, est assurément l’endroit par lequel l’homme approche de plus près la divinité : Dieu ayant formé cet univers pour sa gloire, c’est-à-dire, pour être connu dans ses ouvrages, et pour recevoir des créatures l’adoration et l’obéissance qui lui est due, un être libre était seul capable de contribuer à ce dessein : les adorations d’une créature qui ne serait pas libre ne contribueraient pas davantage à la gloire du Créateur qu’une machine de figure humaine qui se prosternerait devant lui par ressorts, ou un éloge prononcé par un automate. Dieu aime la sainteté. Mais quelle vertu y aurait-il, si l’homme était déterminé nécessairement par sa nature à suivre le bien, comme le feu est déterminé à brûler ? Il ne pouvait donc y avoir qu’une créature libre qui pût exécuter le dessein de Dieu. M. Jaquelot conclut de là qu’encore qu’une créature libre pût abuser de son franc arbitre, néanmoins un être libre était quelque chose de si relevé et de si auguste, que son excellence et son prix l’emportait de beaucoup sur les suites les plus fâcheuses que pouvait produire l’abus qu’on en ferait.

M. Bayle répond que, si le principe de M. Jaquelot était vrai, l’amour nécessaire que Dieu a pour la vertu ne mériterait aucune louange : la sainteté des anges et des bienheureux serait une sainteté machinale, et les démons ne mériteraient aucun blâme pour leur haine contre Dieu, puisqu’il ne dépend pas d’eux de faire autrement. Il ajoute que, puisqu’une des plus sublimes perfections de Dieu est d’être si déterminé à l’amour du bien, qu’il implique contradiction qu’il puisse ne le pas aimer, une créature déterminée au bien serait plus conforme à la nature de Dieu, et par conséquent plus parfaite qu’une créature qui a un pouvoir égal d’aimer le vice et de le haïr. M. Jaquelot dit que l’état des bienheureux est un état de récompense, dans lequel leur connaissance est si épurée, qu’elle porte toujours la liberté au bien, et ne la sollicite jamais au mal. C’est-à-dire qu’ils jouiront toujours du libre arbitre, et cependant ils ne se tourneront jamais au mal. Or, puisqu’il avoue que cet état est un état de récompense, il le doit considérer comme un état plus parfait et plus excellent que celui où nous vivons. Dieu pouvait donc unir dans l’homme constamment et invariablement la liberté et la pratique de la vertu. Alors tout le prix que la liberté