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VIE DE M. BAYLE.

dans le Dictionnaire critique, à l’article Pyrrhon, le récit d’une dispute entre un abbé pyrrhonien et un abbé bon catholique romain. Le principe commun aux deux parties est que les mystères de l’Église romaine, la trinité, l’incarnation, la transsubstantiation, la chute d’Adam, le péché originel, sont des dogmes indubitablement vrais. De cette supposition reconnue pour véritable par les deux disputans, l’abbé pyrrhonien infère que l’évidence n’est pas le caractère certain de la vérité, puisqu’il y a diverses propositions évidentes qui sont fausses dès que l’on admet la vérité des mystères. M. Jaquelot prétend que M. Bayle a voulu prouver par-là que la trinité et l’union hypostatique impliquent contradiction, et il défend ces deux mystères en exposant ce que les théologiens disent là-dessus. Mais M. Bayle lui fait voir qu’il a mal pris la pensée de l’abbé pyrrhonien. Le but de ses objections est seulement de montrer que ces dogmes sont combattus par des propositions évidentes, et qu’ils nous ôtent la certitude que nous fondions sur cette évidence. M. Jaquelot aurait dû prouver que cela est faux, et faire voir que cet exemple de la fausseté des propositions évidentes ne donne aucun lieu aux pyrrhoniens de se défier des propositions qui nous paraissent les plus claires ; mais il prend le change, et se fait un fantôme pour le combattre : il prend pour une même chose, d’avouer que les mystères évangéliques doivent être crus, encore que notre raison ne puisse pas les comprendre, et de vouloir ruiner la religion en prétendant qu’elle est toujours opposée à la raison. M. Bayle s’étonne qu’un esprit si pénétrant n’ait point vu qu’il n’était nullement question d’expliquer les difficultés de nos mystères ; on les suppose véritables dans l’objection, et il fallait même qu’on les supposât véritables, puisque de là on voulait conclure que l’évidence n’est pas le caractère certain de la vérité. C’est uniquement cette conséquence que M. Jaquelot aurait du détruire.

Au reste, la dispute n’empêcha pas que M. Bayle ne rendît justice au mérite de M. Jaquelot. Il avoua qu’il avait un beau génie, beaucoup de pénétration, et un style vif et éblouissant ; qu’il avait joint l’étude de la philosophie moderne à celle de la théologie, et qu’il s’était signalé dans des ouvrages de raisonnement.

M. Bayle défendit aussi la réponse qu’il avait faite dans son Dictionnaire à l’origéniste de M. le Clerc. Celui-ci avait donné dans sa réplique [1] de nouveaux éclaircissemens pour faire voir que le système de l’origéniste levait les difficultés du manichéen, qui soutenait qu’il n’était pas possible d’accorder la permission et la suite du péché avec la bonté idéale ou souverainement parfaite de Dieu. Pour prouver cet accord, M. le Clerc remarqua :

I. Que Dieu, qui a tiré l’homme du néant, n’a pas été obligé de le créer si parfait qu’il ne lui fût pas possible de s’écarter de

  1. Bibliothèque choisie, tom. VII, art. VIII, p. 330 et suiv.