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VIE DE M. BAYLE.

niste répondra que, puisqu’il n’y a nulle proportion entre le fini et l’infini, quelque longs que soient les tourmens d’une créature, puisqu’ils doivent finir, il n’y aura aussi nulle proportion entre la sévérité de Dieu et sa bonté. Il ajoutera, qu’il ne définit point la durée des peines ; elles seront plus longues ou plus courtes, selon que la justice le demandera. La durée des supplices sera moins longue lorsqu’ils seront plus grands, et il y aura autant de variété dans les peines, qu’il y en a eu dans les péchés. Que les raisonnemens que l’on fait contre des supplices de plusieurs siècles ne regardent point l’origéniste, parce qu’il ne croît pas qu’ils durent si longtemps, quoiqu’il ne puisse pas en déterminer précisément la durée.

X. Ce qu’on vient de dire se peut appliquer également au mal moral et au mal physique, ou aux vices et aux souffrances des hommes.

M. Bayle répondit [1] :

I. Que le principe qu’on pose, savoir, qu’il n’est point contraire aux idées de la bonté, qu’une créature soit plus parfaite que l’autre, est très-véritable, qu’ainsi les hommes n’ont aucun sujet de se plaindre de ce qu’ils manquent de la perfection qui consiste à ne pouvoir pas s’écarter de son devoir, mais que ce n’est point aussi le fondement des objections. On ne les fonde que sur ce que Dieu a permis qu’ils s’écartassent actuellement de leur devoir, et qu’ils sentissent actuellement les maux dont leur nature avait été créée susceptible. Voilà, dit-il, ce qui ne paraît pas conforme aux idées de la bonté, lors même qu’on fait attention à la remarque de l’origéniste, que si les hommes observaient les règles que Dieu leur a prescrites, et qu’aucune nécessité insurmontable ne les engage de violer, ils seraient heureux. Nous ne pouvons concevoir que la bonté d’un père soit telle qu’elle doit être, lorsqu’il attache le bonheur de ses enfans à une condition qu’il sait très-bien qu’ils ne suivront pas, et qu’il leur permet de ne point remplir, quoiqu’il pût très-aisément leur procurer les moyens sûrs et infaillibles de la remplir.

II. L’objection n’est pas fondée sur ce que l’homme n’a pas été immuablement fixé au bien. La créature est essentiellement muable, et ainsi ce serait une absurdité de demander pourquoi elle n’a pas été immuable. On demande seulement pourquoi il lui a été permis de se tourner vers le mal. La conséquence de l’acte à la puissance est nécessaire, mais celle de la puissance à l’acte ne l’est point du tout. C’est pourquoi la dispute ne roule pas sur la possibilité du changement, mais sur le changement actuel du bien au mal. Or Dieu pouvait l’empêcher sans donner aucune atteinte au franc arbitre. On dira que Dieu n’était pas obligé de le prévenir, mais on change par-là l’état de la question ; car, lorsque les orthodoxes s’engagent à satisfaire aux difficultés des manichéens, il ne s’agit

  1. Réponse aux Questions d’un provincial, tom. III, ch. CLXXII et suiv.