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VIE DE M. BAYLE.

rieu [1], que dans ces paroles l’apôtre veut réprimer la témérité de ces mauvais savans, qui veulent que nous levions toutes les difficultés par la voie de la raison humaine et par leurs axiomes philosophiques, et que nous avouions que la raison humaine est incompatible avec la révélation divine, comme si ce qui est au-dessus de la raison était toujours contraire à la raison. » On voit que M. Jurieu avait ici en vue M. Bayle ; mais il n’oublia pas M. le Clerc ni M. Jaquelot. « Il faut avouer aussi, ajoute-t-il, que cette pieuse exclamation de saint Paul fait voir l’égarement de ces théologiens qui veulent trouver dans des maximes pélagiennes le moyen d’accorder la raison et la révélation. Certainement s’il est vrai, comme ces messieurs le prétendent, qu’il n°y ait qu’à faire l’homme maître absolu de son libre arbitre et de ses actions, pour sortir de ce labyrinthe, cette exclamation : Ô profondeur, etc., que ses jugemens sont impénétrables, etc., paraît peu juste et peu nécessaire ; car le chemin est tout uni quand on dit : Dieu a abandonné l’homme parce qu’il a fait un mauvais usage de son libre arbitre. » Il ne fait ici que répéter ce qu’il venait d’exprimer d’une manière plus forte et plus étendue. « Je voudrais bien savoir, dit-il [2], pourquoi un nombre de théologiens si considérable se fait une frayeur d’entrer dans cette voie (du souverain droit de Dieu sur les créatures), et aiment mieux nous faire les éloges de la créature libre et de l’excellence de la liberté. Cela est bon, mais cela ne sert à rien dans l’occasion présente, et d’ailleurs cela conduit au pélagianisme. En fermant une porte, comme on croit, à l’impiété des manichéens et des pyrrhoniens, on en ouvre une autre ou bien on en laisse une autre ouverte ; car on ne saurait s’empêcher d’avouer que Dieu est l’auteur de ce franc arbitre qu’il a donné à l’homme, et qu’il en est le maître pour arrêter le cours de ses désordres quand bon lui semble. Ainsi par cette voie on ne fermera jamais la bouche aux profanes. »

Voilà précisément ce que disait M. Bayle ; cependant il ne voulut tirer aucun avantage de cet écrit ; il ne le jugea pas digne de son attention. Il avait déjà assez montré la conformité de sa doctrine avec celle de M. Jurieu.

M. Jaquelot n’avait pas commencé sa dispute avec M. Bayle pour la finir sitôt, il revint à la charge ; mais au lieu de s’en tenir aux trois points qui faisaient l’essentiel de cette controverse, il se jeta sur d’autres matières qui n’y entraient qu’incidemment, ou qui n’y avaient même aucun rapport. Il ne laissait pas de tendre à son but, qui était de représenter M. Bayle comme une personne qui attaquait la religion. Il intitula sa réplique : Examen de la théologie de M. Bayle, répandue dans son Dictionnaire

  1. Le Philosophe de Rotterdam, etc., pag. 128, 129.
  2. Ibid., pag. 118, 119.