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VIE DE M. BAYLE.

principes très-conformes à la raison.

Mais ceux mêmes qui n’approuvent point les sentimens de M. Bayle admirent la beauté et la fertilité de son génie, et l’étendue de son savoir ; et ceux qui ne lui rendent pas cette justice, et qui affectent ou font semblant de le mépriser pour s’élever en l’abaissant, décrient moins M. Bayle que leur propre discernement, et font paraître plus de présomption que de lumières. Il est ordinaire de trouver des hommes qui joignent beaucoup de savoir à peu de génie, beaucoup d’esprit à peu d’érudition, beaucoup de solidité et peu d’agrément : mais il est rare d’en trouver qui aient réuni aussi parfaitement toutes ces qualités que M. Bayle. C’est ce qui a fait dire à M. de Saint-Évremond [1] :

Qu’on admire le grand savoir,
L’érudition infinie
Où l’on ne voit sens ni génie,
Je ne saurais le concevoir ;
Mais je trouve Bayle admirable,
Qui, profond autant qu’agréable,
Me met en état de choisir
L’instruction ou le plaisir.

  1. Œuvres de M. de Saint-Évremond ; lettre à M. Des Maiseaux, t. V, p.377, édit. d’Amsterdam, 1726.
Le 13 de décembre 1729.

(A p. 45.) M. Bayle en marque sa reconnaissance dans une lettre qu’il écrivit à M. Pinson, en 1693. ] On venait de publier ces paroles dans le Ménagiana : M. Bayle est fils d’un ministre. M. l’évêque de Rieux, qui avait contribué à sa conversion, le fit étudier à Toulouse à ses dépens ; mais après ses études il rentra dans la secte qu’il avait quittée. Ces expressions parurent trop générales à M. Bayle. Il s’en plaignit à M. Pinson. « La manière, dit-il [* 1], dont M. Ménage a parlé de moi, est un peu trop vague, et propre à faire naître de fausses idées : chacun s’imaginera que j’ai fait toutes mes études sous les auspices, et par la libéralité de M. l’évêque de Rieux ; voici ce qui en est. Ayant fait mes études de grammaire, de latin et de rhétorique, ou chez mon père, ou à l’académie de Puylaurens, je commençai ma philosophie à la même académie, et poussai seulement cette étude pendant quatre ou cinq mois, après quoi j’allai à Toulouse, tout plein de doutes sur ma religion par des lectures de livres de controverse. Je me trouvai logé avec un prêtre qui, disputant avec moi, ne fit qu’augmenter mes doutes, et après tout me persuader que j’étais dans une mauvaise religion. J’en sortis, et je continuai ma philosophie dans le collége des jésuites de Toulouse. M. l’évêque de Rieux, dans le diocèse duquel j’étais né, ayant su mon changement et l’indignation de ma famille contre moi, et d’ailleurs que j’étais studieux et de bonnes mœurs, et de quelque sorte d’esprit, m’honora de sa protection, et me donna de quoi payer ma pension, ne recevant rien de chez moi, à cause de l’indignation de mon père. J’achevai ainsi ma philosophie ; c’est-à-dire, que je demeurai à Toulouse pendant dix-huit mois ; après quoi les premières impressions de l’éducation ayant regagné le dessus, je me crus obligé de rentrer dans la religion où j’étais né, et m’en allai à Genève, où je continuai mes études. Je ne dis pas cela pour avoir honte des bienfaits de ce : grand prélat, j’en conserve avec respect, et avec beaucoup de reconnaissance le souvenir ; mais enfin on se doit à soi-même et à son prochain le soin d’empêcher qu’on ne se fasse des idées fausses, outrées et hyperboliques des choses, etc. »

(B p. 51.) M. Bayle, se trouvant obli-

  1. (*) Cette lettre n’a point été imprimée. [Non-seulement Des Maizeaux ne l’avait comprise dans son édition de 1729, des Lettres de Bayle ; elle n’est dans l’édition de 1737 des Œuvres diverses.]