Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique (1820) - Tome 1.djvu/301

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
255
AGÉSILAÜS.

sœur d’aspirer à cette victoire[a]. Cette dame, ayant fait dresser des chevaux à cet exercice, se mit sur les rangs, et gagna le prix. Ce fut la première femme qui remporta cette gloire[b]. Elle s’appelait Cynisca. Je ne crois pas que Dicéarque l’ait ignoré, lui qui se plaignait de ne trouver pas quel était le nom de la fille d’Agésilaüs (K). Il aurait su s’il avait fait ce que fit Plutarque (L).

  1. Plutarch. in Agesilao, pag. 606, D.
  2. Pausan., lib. III, pag. 88 et 96.

(A) On fit l’injustice à Léotychide, etc. ] On ne peut qualifier autrement la manière dont il fut traité, si l’on en examine bien les raisons. Agésilaüs ne niait point que, selon les lois du pays, la couronne n’appartint aux fils de son frère : mais il soutenait que Léotychide n’était pas fils d’Agis ; et, pour le prouver, il se servait de ces deux moyens. Il disait en premier lieu, que Timéa, mère de Léotychide, s’était tellement coiffée d’Alcibiade, qui s’était réfugié à Lacédémone, que son mari soupçonna que l’enfant qu’elle eut quelque temps après n’avait point d’autre père que ce galant. Cela regardait Léotychide : c’était lui que Timéa mit au monde vers ce temps-là ; c’était lui qu’Agis n’avait reconnu pour son fils qu’au lit de la mort. Agésilaüs alléguait, en second lieu, le témoignage de Neptune. Il disait qu’Agis avait été chassé du lit de sa femme par un tremblement de terre, et que Timéa était accouchée de Léotychide plus de dix mois après[1]. Ces deux raisons ne valaient rien : la maxime, Pater est quem nuptiæ demonstrant, les ruine de fond en comble. Si, toutes les fois qu’un mari prend quelque ombrage de voir son épouse sensible aux visites et aux tête-à-tête d’un étranger, il fallait exclure de la succession les enfans qui naissent vers ce temps-là, où en serait-on ? Ainsi, quand même ce qu’a dit un historien serait vrai, que Timéa ne faisait point de scrupule devant ses femmes de donner à son fils, entre les dents, le nom d’Alcibiade, plutôt que celui de Léotychide [2], il n’y aurait eu rien à conclure juridiquement de ce fait-là en faveur d’Agésilaüs, l’aurait fallu savoir de Timéa même ce qu’elle entendait par ce langage[3], et si c’était tout de bon, ou par bravade, ou par une folle plaisanterie, qu’elle l’avait employé. Bien moins aurait-on pu alléguer l’indiscrétion d’Alcibiade, s’il eût été vrai qu’il se vantât d’avoir eu affaire à Timéa, non par un principe de galanterie, mais par l’ambition de donner des rois à Lacédémone[4]. Cent raisons comme celles-là ne devaient point balancer l’acte par lequel Agis, au lit de la mort, et en présence de bons témoins, avait reconnu Léotychide pour son fils. La seconde raison d’Agésilaüs était une badinerie ; car que Neptune soit tant qu’on voudra la cause des tremble-terres, comment aurait-on prouvé qu’Agis n’osa plus coucher avec Timéa depuis le tremblement en question ? Un accouchement postérieur de dix mois[5] aux dernières caresses d’un mari ne fait point de preuve en justice ; la maxime, Pater est quem nuptiæ demonstrant, et les décisions même des médecins, dissipent tous ces ombrages. Ainsi l’on peut dire que ceux de Lacédémone, gens qui se piquaient d’une morale tout-à-fait sévère, ôtèrent une couronne pour des raisons qui seraient insuffisantes, dans un tribunal bien réglé, à exclure de la succession d’un arpent de terre. Mais le malheur de Léotychide fut que Lysander, le plus intrigant, le plus fourbe, et le plus factieux de tous les hommes, accrédité dans la ville à proportion de son savoir-faire, et des victoires qu’il avait gagnées sur les ennemis, se mit en tête de faire couronner Agésilaüs[6]. Il n’y a point de loi fondamentale qui puisse tenir contre de pareilles gens :

  1. Ex Plut. in Agesilao, pag. 597 ; et Xenoph. de Reb. Græc., lib. III, pag. 214.
  2. Duris, apud Plutarch., in Agesilao, p. 597.
  3. Selon les maximes du droit, le témoignage qu’une personne porte contre elle-même n’est point reçu.
  4. Plut. in Agesilao, pag. 214.
  5. Notez que les anciens donnaient dix mois au terme de l’accouchement,

    Matri longa decera tulerunt fastidia menses.

    Voyez Virgile, Ecl. IV, vs. 61, et La Cerda sur cet endroit.

  6. Plut. in Agesilao, pag. 597 ; et Xenophon, de Rebus Græcis, lib. III. pag. 214.