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ABARIS.

Seu terram, rapido pariter cum flamine portant.
Tum virgam capit : hâc animas ille evocat Orco
Pallentes, alias sub tristia Tartara mittit,
Dat somnos, adimitque, et lumina morte resignat.
Illâ fretus, agit ventos, et turbida tranat
Nubila[1].

Si nous avions le Traité sur la verge de Mercure, que Barthius avait promis [2], on y verrait assurément une compilation bien curieuse, et peut-être plus instructive que le Traité du cynique Antisthènes sur le bâton de Minerve. Cette déesse avait aussi son bâton, avec quoi elle faisait paraître les gens ou jeunes ou vieux, selon l’exigence des cas[3]. La sorcière Circé faisait bien plus que tout cela avec le sien[4], puisque, d’un seul petit coup de sa baguette, elle transformait les hommes en bêtes, et les bêtes en hommes. Érasme, qui joint à tous ces exemples la verge avec laquelle Moïse fit tant de choses miraculeuses [5], devait remarquer que le démon, le singe des œuvres de Dieu, a pris son modèle là-dessus pour ériger le bâton en l’une de ses principales causes occasionelles. M. Huet prétend que ce que les poëtes ont chanté de la verge de Mercure, etc., a son origine dans la verge de Moïse [6]. Notez que le diable fut bien prompt à imiter ; car les magiciens de Pharaon firent par le moyen de leurs verges quelques miracles qui ressemblaient à ceux du vrai Dieu[7]. N’oublions point les brachmanes, qui portaient toujours un anneau et un bâton, auxquels ils attribuaient de grandes vertus[8]. J’en dirai peut-être davantage sous le mot Rabdomantie[* 1].

(C) En quel temps Abaris vivait. ] Son ambassade d’Athènes est placée par quelques-uns sous la 21e. olympiade ; par Hippostrate sous la 3e., et par Pindare au temps du roi Crésus [9]. Eusèbe s’était rangé à ce dernier sentiment, puisqu’il avait situé le voyage d’Abaris et le commencement du règne de Crésus sous la seconde année de la 54e. olympiade ; mais il donna peu après dans une honteuse variation ; car il fit fleurir ce devin la dernière année de la 82e. olympiade. Abaris hyperboranus hariolus agnoscitur[10]. M. de Valois semble préférer à tout autre sentiment celui de Porphyre et de Jamblique[11], selon lequel Abaris aura vécu l’an 2 de la 54e. olympiade, contemporain de Pythagore. On infère cela de ce que Porphyre et Jamblique rapportent que Pythagore montra sa cuisse d’or à Abaris, prêtre d’Apollon l’Hyperboréen. Si les lettres qui courent sous le nom de Phalaris n’étaient pas un ouvrage fait à plaisir, on devrait être assuré qu’Abaris a vécu en même temps que ce tyran ; mais il n’y a nulle apparence qu’ils se soient jamais écrit les lettres qu’on trouve dans ce recueil. Cependant c’est une raison à alléguer pour montrer qu’Abaris et Phalaris ont été contemporains ; car il y a quelque sorte de présomption que celui qui a supposé ces lettres à Phalaris a observé la chronologie, afin que ses fictions eussent plus de vraisemblance. Suïdas met la tyrannie de Phalaris sous la 52e. olympiade. Le sentiment d’Hippostrate pourrait être fortifié par la raison que voici. Suïdas observe qu’en la 5e. olympiade les Athéniens firent pour tous les Grecs les sacrifices qu’on nommait Προηροσίαι [12]. Ils se faisaient avant que l’on labourât la terre, et dans la vue d’obtenir la bénédiction divine sur la prochaine moisson. Or, le Scoliaste d’Aristophane rapporte que, quand les Athéniens firent pour tout le monde le sacrifice nommé Προηροσία, il y avait eu une famine, ou même aussi une peste par toute la terre, qui avait obligé les peuples à recourir à l’ora-

  1. * Bayle n’a jamais donné d’article Rabdomantie
  1. Virgile, Énéid., liv. IV, v. 239. Voyez aussi Homère, Iliad. et Odyss., liv. dern. ; Ovide, Métam. liv. I, v. 75, au sujet d’Argus ; Horace, ode X, v. 18, et XXIV, v. 16 du liv. I ; Stace, Thebaïd. liv. I.
  2. De Virgæ Mercurialis potestate el potentiâ peculiarem tractationem satis mysterioden damus in Superstitionum magno Commentario. Barthius in Stat. Tom. II, pag. 291.
  3. Homer., Odyss. Ν. et Π.
  4. Ibid. Κ.
  5. Sur le proverbe virgula divina. Chil. 1, centur. 1., n. 97.
  6. Haetii Demonstr. Evang. Propos. IV, pag. 258.
  7. Voyez les chapitres VII et VIII de l’Exode
  8. Philostrat. Vita Apoll. Lib. III.
  9. Apud Harpocrationem.
  10. Eusebii Chron. n. 1668.
  11. Henr. Valesii Notæ in notas Maussaci in Harpocrat. pag. 83.
  12. Au mot Προηροσίαι.