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ABDÈRE.

cule : Diomedem, regem Thraciæ, et equos quatuor ejus, qui carne humanâ vescebantur, cum Abdero famulo interfecit [1]. M. de Saumaise dit là-dessus qu’il ne faut point chercher l’uniformité dans les fables : il a raison ; on trouve le blanc et le noir sur les mêmes choses dans les écrivains du temps fabuleux ; mais peut-être qu’on pourrait dire qu’Hygin a voulu signifier qu’Hercule, secondé d’Abdère, tua ce cruel roi de Thrace qui nourrissait de chair humaine ses chevaux. Je ne garantis point ce sens. Vigénère avait déjà remarqué l’opposition qui se trouve entre Hygin et Philostrate [2]. On pouvait encore dire que ce dernier est très-différent d’Apollodore : car il veut[3] que Diomède ait abandonné Abdère à ses cavales ; qu’Hercule, allant délivrer son favori, l’ait trouvé à demi mangé ; et que, pour punir Diomède, il l’ait fait servir de nourriture à ses cavales [4]. Philostrate ne veut point, comme Apollodore, qu’Hercule ait fait bâtir une ville auprès du sépulcre de son ami. Mais d’ailleurs Apollodore ne dit point, comme Philostrate, qu’Hercule ait ordonné des jeux où des exercices en l’honneur d’Abdère. Je crois qu’il n’y a qu’un seul auteur [5] qui ait dit que Patrocle fut frère de cet Abdère, On prétend pouvoir prouver par les médailles que les Abdérites aimaient mieux rapporter le nom de leur ville à Abdéra, sœur de Diomède, qu’au mignon d’Hercule [6].

(E) De se retirer ailleurs. ] Justin dit que Cassander, ayant peur qu’ils n’envahissent la Macédoine, entra en traite avec eux, et les plaça sur les frontières. On s’est un peu moqué de cette peur de Cassander[7] ; lui qui faisait trembler toute la Grèce, pouvait-il craindre que les habitans d’une seule ville qui fuyaient des rats et des grenouilles ne s’emparassent malgré lui de tout un pays ? M. Moréri, qui apparemment n’avait jamais su qu’on eût demandé raison de cette peur à l’historien Justin, a fait tout ce qui fallait pour lui épargner cette censure ; car il déclare que Cassander reçut les Abdéritains dans la Macédoine avec beaucoup de bonté. Ceux qui s’en fieront à son dictionnaire ne songeront pas à critiquer cet ancien historien. On ajoute que cette bonté de Cassander se déploya l’an 3650 du monde, selon la chronologie d’Eusèbe. Qui croirait, en lisant cela, qu’Eusèbe n’a pas dit un seul mot de cette action de Cassander, et qu’il ne compte point les temps selon les années du monde ? Venant au fond, je dis que, selon Justin, les Abdérites furent placés par Cassander sur les frontières du pays avant qu’il tuât les fils d’Alexandre : or, selon Calvisius[8], il acheva de s’en défaire l’an du monde 3641 ; ainsi la chronologie de notre homme est aussi fausse que la bonté de Cassander est contraire au seul historien qu’il a pu suivre.

(F) Qu’ils y retournèrent bientôt, etc. ] Ce que Lucien rapporte de la maladie des Abdérites arriva sous le règne de Lysimachus, et, par conséquent, est postérieur à l’aventure des grenouilles ; car, selon Justin[9], elle précéda le temps auquel Lysimachus et Cassander prirent la qualité de roi. Ajoutez à cela qu’au temps du dernier roi de Macédoine, la ville d’Abdère était assez florissante. Le préteur Lucius Hortensius la pilla ; mais sa conduite fut désapprouvée par le sénat romain, et la liberté fut rendue aux Abdérites[10].

(G) Les Abdérites ont été fort décriés du côté de l’esprit et du jugement. ] On a déjà vu comment Cicéron les accommode dans ses lettres à Atticus. Il n’est pas plus obligeant dans un autre livre[11] où, après avoir rapporté une opinion qu’il croit ridicule, il ajoute, quæ quidem omnia sunt patriâ Democriti quàm Democrito digniora. Juvénal, ne pouvant nier que Démocrite n’eût beaucoup d’esprit et

  1. Hygini Fab. XXX.
  2. Vigénère, Annotat. sur le Sépulcre d’Abdére, de Philostrate.
  3. Philostr. in Iconib.
  4. Vigénère dit faussement que Tatien, dans son Discours contre les Gentils, dit qu’Hercule trouva Abdère à demi mangé.
  5. Ptolem. Hephæst. apud Photium, page 484.
  6. Spanhemii Epistola ad Laur. Beger.
  7. Voyez Glareanus, dans le Justin Variorum de M. Grævius, page 333.
  8. Moréri suit ordinairement la chronologie de Calvisius.
  9. Justin., lib. XV, cap. II.
  10. Livius, lib. XLIII, c. 4 ext.
  11. Cicero de Natur. Deor., lib. I, c. 42.