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PROJET.

me celuy-ci ce n’est pas trop à l’égard de bien des choses, que de comparer ensemble quatre Ecrits publiez successivement, deux par la personne attaquée, & deux par la personne attaquante, & j’ose même dire que sur certains faits cela n’est pas suffisant. On m’accordera qu’il y a bien des Censeurs, qui font plus de fautes qu’ils n’en corrigent[1] ; on m’avoüera pour le moins, que les plus savans donnent lieu à être censurez à leur tour. C’est ce qu’on a reproché à Casaubon, par raport à sa Critique de Baronius. Les uns[2] luy ont fait ce reproche assez doucement : les autres d’une maniere fort outrée, quoy que l’on ne puisse pas disconvenir de je ne say quelle fatalité, qui fut cause que cette Critique très bonne & très-savante d’ailleurs, fit plus de tort que de bien à la reputation de celui qui la composa. Mais enfin je ne voudrois que cet exemple, pour montrer qu’après avoir lu la Critique d’un Ouvrage, il faut suspendre son jugement jusques à ce que l’on ait vû ce que l’Auteur critique où ses amis auront à dire. Ceux qui prennent pour faute tout ce qui est censuré par l’aggresseur, & pour vray tout ce qu’il ne combat pas, voyent souvent par la suitte qu’ils ont été dupe de cet Ecrivain ; car on leur montre qu’il a condamné de bonnes choses, & qu’il n’a point condamné ce qui étoit condamnable, &

  1. 1 Saepe in judicando majus est peccatum judicii quam peccati illius de quo fuerat judicatum. Ambrosius in Psalm. 50.
  2. 2 Mr. Godeau par exemple, dans la Preface de son Histoire de l’Eglise ; Casaubon, dit-il, qui étoit un habile homme, devoit traiter Baronius avec plus de civilité, luy qui ne nomme jamais Scaliger que ce divin homme, & se contenter de le reprendre sur les choses où il croyait qu’il s’étoit trompé, sans le voulloir faire passer à tous momens pour un homme qui n’avoit nulle belle literature. S’il avoit entrepris une carriere aussi longue que la sienne, nous verrions s’il n’y auroit point fait de faux pas. Ses Exercitations en ont fait naître d’autres : on a trouvé justement de quoy censurer dans ses censures, & par là on voit qu’en ces matieres il n’y a rien qui ne puisse être defendu & attaqué, avec une probabilité presque égale, sur tout pour les dates du tems.
que