Page:Bazan - Vol de papillons, 1887.djvu/7

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— Mon Dieu, Henry, mais cela se verra, et…

— Non, non, sois bien tranquille… Ah ! le cœur à présent, puis les flammes, puis la date… Mais tandis qu’il commençait les premières arabesques destinées à faire flamber nos sentiments, le pas un peu pesant de ma grand’mère retentit dans l’escalier.

Broust !… leste et preste, le canif refermé, remis en poche, les deux enfants très tranquillement assis à regarder Saint-Eloi gourmander le brave Dagobert, tout cela se fit en moins de temps que je n’en mets à le dire.

Mon aïeule promena autour d’elle un regard investigateur, mais ne découvrant rien d’insolite, elle se déclara satisfaite, et nous octroya deux biscuits de Reims légèrement poussiéreux pour faire la dinette.

— Je finirai les flammes un autre jour, me dit tout bas Henry, en m’embrassant au départ, que cela ne t’empêche pas surtout de songer à ce que tu m’as promis !

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Ce fut la dernière fois que nous jouâmes ensemble ; on l’envoya au collège dans une ville éloignée, je ne l’ai jamais revu. Ma grand’mère mourut six ou huit mois après ce jour-là ; je ne dirai rien des impressions lugubres de ces heures, elles se sont à jamais gravées dans ma mémoire !

Mes parents quittèrent le pays pour aller demeurer à Paris ; on vendit la vieille demeure et le jardin chéri que je regardais comme un paradis de délices ; on se défit aussi de plusieurs choses encombrantes, et au milieu d’elles, la vieille Rosalie, par une erreur qu’elle déplorait encore de longues années plus tard, laissa comprendre la grande bergère Louis XVI ! Je la regrettai vivement, j’y pensai longtemps avec amertume, mais ensuite le temps fit son œuvre, et j’avoue qu’un jour arriva, où je ne me souvenais plus que très vaguement de son existence.

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— Mon cher ami, j’ai vraiment du malheur ! Toutes les fois qu’à une vente je guigne un vieux meuble, bon ! un nouvel amateur arrive. Pan !… une surenchère, et comme avant tout je suis raisonnable, je reste Gros-Jean comme devant.

Mon mari, qui ne s’appelle pas Henry Coustou, car malgré mes serments j’ai manqué à la foi jurée, sourit dans ses moustaches (il en a), du petit air ironique qui lui est familier. Lorsque je me mets sur ce chapitre, là se bornent en général ses compliments de condoléances.

L’année dernière — il y a, hélas ! de longues années du lundi de Pâques dont il a été question plus haut, — je me promenais à Trouville même, sur la place du Marché, ne songeant à nulle autre chose qu’à regarder la mer splendide et le ciel azuré, lorsque j’entends derrière moi une voix qui