Page:Bazin - La Terre qui meurt, 1926.djvu/62

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en le faisant, il tordait sa petite moustache blonde, et toute la fleur de sa jeunesse, un peu d’amour-propre naïf, apparaissaient dans sa physionomie ouverte et amusée.

Vers quatre heures, sur la gauche de Sallertaine, un clairon sonna. Ce devait être à mi-distance entre la paroisse des Lumineau et celle de Soullans, en plein Marais. Mathurin, réveillé de la torpeur où la lecture l’avait plongé, regarda André, qui avait laissé tomber le journal, à la première note, et qui, le visage levé, l’oreille tendue, souriait à la fanfare.

— Ce sont les gars de la classe, dit l’aîné. Ils vont partir bientôt, et ils se promènent.

— Ils jouent la fanfare des chasseurs d’Afrique, répondit le cadet avec une flamme dans les yeux. Je la reconnais. Il y a donc un ancien de chez nous dans le Marais ?

— Oui, le fils d’un bourrinier du Fief. Il a fait son temps dans les zouaves.

Il y eut un silence, pendant lequel les deux hommes écoutèrent la sonnerie de l’ancien zouave. Leurs pensées, en ce moment, étaient bien différentes. André revoyait, en imagination, dans les lointains du Marais qu’il fixait, une ville blanche, des rues étroites, une troupe de cavaliers sortant d’une porte crénelée dont la voûte faisait écho. Mathurin observait l’expression de son frère, et pensait : « Il a encore l’esprit là-bas, d’où il vient. » Ses traits se détendirent et ses yeux se dilatèrent une seconde, comme ceux d’une bête qui découvre sa proie, puis il se replia sur son rêve habituel.

— Driot, dit-il après un long moment, tu aimes cette musique-là ?

— Mais oui.

— Tu regrettes le régiment ?

— Non, par exemple ! Personne ne le regrette.

— Alors, qu’est-ce qui te plaisait là-bas ?

Le jeune homme interrogea le visage de l’aîné, d’un coup d’œil, comme s’il cherchait : « Pourquoi me demande-t-il cela ? » Puis il répondit :

— Le pays… Écoute encore… C’est la diane, à présent…

La sonnerie du clairon, grêle et précipitée, cessa