Page:Beaumarchais - Œuvres choisies, édition 1913, tome 2.djvu/335

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 bien périr encore.
Pour le coup je quittais le monde, et vingt brasses d’eau m’en allaient
séparer, lorsqu’un Dieu bienfesant m’appelle à mon premier état. Je
reprends ma trousse et mon cuir anglais ; puis, laissant la fumée aux
sots qui s’en nourrissent, et la honte au milieu du chemin, comme trop
lourde à un piéton, je vais rasant de ville en ville, et je vis enfin
sans souci. Un grand seigneur passe à Séville ; il me reconnaît, je le
marie ; et, pour prix d’avoir eu par mes soins son épouse, il veut
intercepter la mienne ! intrigue, orage à ce sujet. Prêt à tomber dans un
abyme, au moment d’épouser ma mère, mes parens m’arrivent à la file.
(il se lève en s’échauffant.) On se débat ; c’est vous, c’est lui,
c’est moi, c’est toi, non ce n’est pas nous, eh mais qui donc ? (il
retombe assis.) O bizarre suite d’événemens ! Comment cela m’est-il
arrivé ? Pourquoi ces choses et non pas d’autres ? qui les a fixées sur ma
tête ? Forcé de parcourir la route où je suis entré sans le savoir, comme
j’en sortirai sans le vouloir, je l’ai jonchée d’autant de fleurs que ma
gaieté me l’a permis ; encore je dis ma gaieté, sans savoir si elle est à
moi plus que le reste, ni même quel est ce Moi dont je m’occupe : un
assemblage informe de parties inconnues ; puis un chétif être imbécille ;
un petit animal folâtre ; un jeune homme ardent au plaisir ; ayant tous
les goûts pour jouir ; fesant tous les métiers pour vivre ; maître ici,
valet là, selon qu’il plaît à la fortune ! ambitieux par vanité,
laborieux par nécessité, mais paresseux… avec délices ! orateur selon
le danger, poëte par délassement, musicien par occasion, amoureux par
folles bouffées, j’ai tout vu, tout fait, tout usé. Puis l’illusion
s’est détruite ; et trop désabusé…. désabusé !… Suzon, Suzon, Suzon,
que tu me donnes de tourmens ! --