Il ne serait même pas mal que vous eussiez l’air entre deux vins…
À quoi bon ?
Et le mener un peu lestement sous cette apparence déraisonnable.
À quoi bon ?
Pour qu’il ne prenne aucun ombrage, et vous croie plus pressé de dormir que d’intriguer chez lui.
Supérieurement vu ! Mais que n’y vas-tu, toi ?
Ah ! oui, moi ! Nous serons bien heureux s’il ne vous reconnaît pas, vous qu’il n’a jamais vu. Et comment vous introduire après ?
Tu as raison.
C’est que vous ne pourrez peut-être pas soutenir ce personnage difficile. Cavalier… pris de vin…
Tu te moques de moi. (Prenant un ton ivre.) N’est-ce point ici la maison du docteur Bartholo, mon ami ?
Pas mal, en vérité ! vos jambes seulement un peu plus avinées. (D’un ton plus ivre.) N’est-ce pas ici la maison…
Fi donc ! tu as l’ivresse du peuple.
C’est la bonne ; c’est celle du plaisir.
La porte s’ouvre.
C’est notre homme : éloignons-nous jusqu’à ce qu’il soit parti.
Scène V
Je reviens à l’instant ; qu’on ne laisse entrer personne. Quelle sottise à moi d’être descendu ! Dès qu’elle m’en priait, je devais bien me douter… Et Basile qui ne vient pas ! Il devait tout arranger pour que mon mariage se fît secrètement demain : et point de nouvelles ! Allons voir ce qui peut l’arrêter.
Scène VI
Qu’ai-je entendu ? Demain il épouse Rosine en secret !
Monseigneur, la difficulté de réussir ne fait qu’ajouter à la nécessité d’entreprendre.
Quel est donc ce Basile qui se mêle de son mariage ?
Un pauvre hère qui montre la musique à sa pupille, infatué de son art, friponneau, besogneux, à genoux devant un écu, et dont il sera facile de venir à bout, Monseigneur… (Regardant à la jalousie.) La v’là, la v’là.
Qui donc ?
Derrière sa jalousie, la voilà, la voilà ! Ne regardez pas, ne regardez donc pas !
Pourquoi ?
Ne vous écrit-elle pas : Chantez indifféremment, c’est-à-dire : chantez comme si vous chantiez… seulement pour chanter. Oh ! la v’là, la v’là !
Puisque j’ai commencé à l’intéresser sans être connu d’elle, ne quittons point le nom de Lindor que j’ai pris ; mon triomphe en aura plus de charmes. (Il déploie le papier que Rosine a jeté.) Mais comment chanter sur cette musique ? Je ne sais pas faire de vers, moi.
Tout ce qui vous viendra, monseigneur, est excellent : en amour, le cœur n’est pas difficile sur les productions de l’esprit… Et prenez ma guitare.
Que veux-tu que j’en fasse ? j’en joue si mal !
Est-ce qu’un homme comme vous ignore quelque chose ? Avec le dos de la main ; from, from, from… Chanter sans guitare à Séville ! vous seriez bientôt reconnu, ma foi, bientôt dépisté.
Vous l’ordonnez, je me ferai connaître ;
Plus inconnu, j’osais vous adorer :
En me nommant, que pourrais-je espérer ?
N’importe, il faut obéir à son maître.
Fort bien, parbleu ! courage, monseigneur !
Je suis Lindor, ma naissance est commune ;
Mes vœux sont ceux d’un simple bachelier :
Que n’ai-je, hélas ! d’un brillant chevalier
À vous offrir le rang et la fortune !