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Le Comte.

Vous, Rosine ! la compagne d’un malheureux ! sans fortune, sans naissance !…

Rosine.

La naissance, la fortune ! Laissons là les jeux du hasard ; et si vous m’assurez que vos intentions sont pures…

Le Comte, à ses pieds.

Ah ! Rosine ! je vous adore !…

Rosine, indignée.

Arrêtez, malheureux !… vous osez profaner… Tu m’adores !… va, tu n’es plus dangereux pour moi : j’attendais ce mot pour te détester. Mais, avant de t’abandonner au remords qui t’attend (en pleurant), apprends que je t’aimais, apprends que je faisais mon bonheur de partager ton mauvais sort. Misérable Lindor ! j’allais tout quitter pour te suivre. Mais le lâche abus que tu as fait de mes bontés, et l’indignité de cet affreux comte Almaviva, à qui tu me vendais, ont fait rentrer dans mes mains ce témoignage de ma faiblesse. Connais-tu cette lettre ?

Le Comte, vivement.

Que votre tuteur vous a remise ?

Rosine, fièrement.

Oui, je lui en ai l’obligation.

Le Comte.

Dieux, que je suis heureux ! Il la tient de moi. Dans mon embarras, hier, je m’en suis servi pour arracher sa confiance ; et je n’ai pu trouver l’instant de vous en informer. Ah ! Rosine ! il est donc vrai que vous m’aimez véritablement !

Figaro.

Monseigneur, vous cherchiez une femme qui vous aimât pour vous-même…

Rosine.

Monseigneur !… Que dit-il ?

Le Comte, jetant son large manteau, paraît en habit magnifique.

Ô la plus aimée des femmes ! il n’est plus temps de vous abuser : l’heureux homme que vous voyez à vos pieds n’est point Lindor ; je suis le comte Almaviva, qui meurt d’amour, et vous cherche en vain depuis six mois.

Rosine tombe dans les bras du comte.

Ah !…

Le Comte, effrayé.

Figaro ?

Figaro.

Point d’inquiétude, monseigneur ; la douce émotion de la joie n’a jamais de suites fâcheuses : la voilà, la voilà qui reprend ses sens. Morbleu ! qu’elle est belle !

Rosine.

Ah ! Lindor !… ah ! monsieur ! que je suis coupable ! j’allais me donner cette nuit même à mon tuteur.

Le Comte.

Vous, Rosine !

Rosine.

Ne voyez que ma punition ! J’aurais passé ma vie à vous détester. Ah, Lindor, le plus affreux supplice n’est-il pas de haïr, quand on sent qu’on est faite pour aimer ?

Figaro regarde à la fenêtre.

Monseigneur, le retour est fermé ; l’échelle est enlevée.

Le Comte.

Enlevée !

Rosine, troublée.

Oui, c’est moi… c’est le docteur. Voilà le fruit de ma crédulité. Il m’a trompée. J’ai tout avoué, tout trahi : il sait que vous êtes ici, et va venir avec main-forte.

Figaro regarde encore.

Monseigneur, on ouvre la porte de la rue.

Rosine, courant dans les bras du comte avec frayeur.

Ah ! Lindor !…

Le Comte, avec fermeté.

Rosine, vous m’aimez ! Je ne crains personne ; et vous serez ma femme. J’aurai donc le plaisir de punir à mon gré l’odieux vieillard !…

Rosine.

Non, non, grâce pour lui, cher Lindor ! Mon cœur est si plein, que la vengeance ne peut y trouver place.



Scène VII

Le NOTAIRE, don BAZILE, les acteurs précédents.
Figaro.

Monseigneur, c’est notre notaire.

Le Comte.

Et l’ami Basile avec lui !

Basile.

Ah ! qu’est-ce que j’aperçois ?

Figaro.

Eh ! par quel hasard, notre ami…

Basile.

Par quel accident, messieurs… ?

Le Notaire.

Sont-ce là les futurs conjoints ?

Le Comte.

Oui, monsieur. Vous deviez unir la signora Rosine et moi cette nuit, chez le barbier Figaro ; mais nous avons préféré cette maison, pour des raisons que vous saurez. Avez-vous notre contrat ?

Le Notaire.

J’ai donc l’honneur de parler à Son Excellence monsieur le comte Almaviva ?

Figaro.

Précisément.

Basile, à part.

Si c’est pour cela qu’il m’a donné le passe-partout…

Le Notaire.

C’est que j’ai deux contrats de mariage, mon-