Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/271

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La Comtesse, à Figaro : Puisque nous voilà rassemblés, avertissez mon fils que nous prendrons ici le chocolat.

Florestine : Pendant qu’ils vont le préparer, mon parrain, faites-nous donc voir ce beau buste de Washington, que vous avez, dit-on, chez vous.

Le Comte : J’ignore qui me l’envoie ; je ne l’ai demandé à personne ; et, sans doute, il est pour Léon. Il est beau ; je l’ai là dans mon cabinet : venez tous.

Bégearss, en sortant le dernier, se retourne deux fois pour examiner Figaro qui le regarde de même. Ils ont l’air de se menacer sans parler.

Scène V : Figaro, seul, rangeant la table et les tasses pour le déjeuner.

Serpent, ou basilic ! tu peux me mesurer, me lancer des regards affreux ! Ce sont les miens qui te tueront !… Mais, où reçoit-il ses paquets ? Il ne vient rien pour lui, de la poste à l’hôtel ! Est-il monté seul de l’enfer ?… Quelque autre diable correspond… et moi, je ne puis découvrir…

Scène VI : Figaro, Suzanne.

Suzanne accourt, regarde, et dit très vivement à l’oreille de Figaro : C’est lui que la pupille épouse. — Il a la promesse du Comte. — Il guérira Léon de son amour. — Il détachera Florestine. — Il fera consentir Madame. — Il te chasse de la maison. — Il cloître ma maîtresse en attendant que l’on divorce. — Fait déshériter le jeune homme, et me rend maîtresse de tout. Voilà les nouvelles du jour. (Elle s’enfuit.)

Scène VII : Figaro, seul.

Non, s’il vous plaît, Monsieur le Major ! nous compterons ensemble auparavant. Vous apprendrez de moi qu’il n’y a que les sots qui triomphent. Grâce à l’Ariane-Suzon, je tiens le fil du labyrinthe, et le Minotaure est cerné… Je t’envelopperai dans tes pièges, et te démasquerai si bien !… Mais quel intérêt assez pressant lui fait faire une telle école, desserre les dents d’un tel homme ? S’en croirait-il assez sûr pour… La sottise et la vanité sont compagnes inséparables ! Mon politique babille et se confie ! Il a perdu le coup. Y a faute.

Scène VIII : Guillaume, Figaro.

Guillaume, avec une lettre : Meissieïr Bégearss ! Ché vois qu’il est pas pour ici ?

Figaro, rangeant le déjeuner : Tu peux l’attendre, il va rentrer.

Guillaume, reculant : Meingoth ! ch’attendrai pas meissieïr, en gombagnie té vout ! Mon maître il voudrait point, jé chure.

Figaro : Il te le défend ? eh bien ! donne la lettre ; je vais la lui remettre en rentrant.

Guillaume, reculant : Pas plis à vous té lettres ! O tiaple ! il voudra pientôt me jasser.

Figaro, à part : Il faut pomper le sot. — Tu viens de la poste, je crois ?

Guillaume : Tiable ! non, ché viens pas.

Figaro : C’est sans doute quelque missive du gentleman…, du parent irlandais dont il vient d’hériter ? Tu sais cela, toi, bon Guillaume ?

Guillaume, riant niaisement : Lettre d’un qu’il est mort, Meissieïr ! Non, ché vous prie ! Celui-là, ché crois pas, partié ! ce sera bien plutôt d’un autre. Peut-être il viendrait d’un qu’ils sont là… pas contents, dehors.

Figaro : D’un de nos mécontents, dis-tu ?

Guillaume : Oui, mais ch’assure pas…

Figaro, à part : Cela se peut ; il est fourré dans tout. (A Guillaume.) On pourrait voir au timbre, et s’assurer…

Guillaume : Ch’assure pas ; pourquoi ? les lettres il vient chez M. O’Connor ; et puis, je sais pas quoi c’est timpré, moi.

Figaro, vivement : O’Connor ! banquier irlandais ?

Guillaume : Mon foi !

Figaro revient à lui, froidement : Ici près, derrière l’hôtel ?

Guillaume : Ein fort choli maison, partié ! tes chens très… beaucoup gracieux, si j’osse dire. (Il se retire à l’écart.)

Figaro, à lui-même : O fortune ! O bonheur !

Guillaume, revenant : Parle pas, fous, de s’té banquier, pour personne ; entende fous ? ch’aurais pas dû… Tertaïfle ! (Il frappe du pied.)