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VIE DE BEAUMARCHAIS.

ses affaires, d’acheter de compte à demi avec Pâris-Duverney, dont ce fut le dernier marché, l’immense forêt de Chinon, et de rêver, pour le fils qui lui naquit bientôt, les plus belles espérances de fortune.

Vains projets encore ! Tout ce bonheur, qui sans doute l’eût fixé, croula. La mère mourut en couches le 21 novembre 1770, et le fils ne lui survécut pas deux années. Que va faire Beaumarchais ? des pièces. Malgré Eugénie, malgré les Deux Amis, c’est encore au théâtre qu’il songe, lorsqu’après la mort de son fils, qui seul, comme il l’écrivait en 1771 à une duchesse, l’attachait « à ces objets de finances, mortels pour les gens de lettres, » il n’a plus personne pour qui travailler dans les affaires, et avoir besoin d’y devenir riche.

Elles se vengèrent bien de ce projet d’abandon, par les ennuis sans nombre et sans fin où elles le jetèrent et dont nous touchons les premiers.

En avril 1770 il avait réglé ses comptes avec Pâris-Duverney, enfin las de la finance et trop vieux d’ailleurs pour y rester. Par ce règlement, Paris avait non-seulement reconnu Beaumarchais complètement quitte envers lui, mais s’était déclaré son débiteur pour une somme de quinze mille livres, payable à sa volonté. Il était temps pour ce compte définitif ; trois mois après, le 15 juillet, avant que Beaumarchais ne se fût fait payer des quinze mille livres, Pâris-Duverney mourait, laissant toute sa fortune au comte de la Blache, son petit-neveu par les femmes, qu’il avait lui-même élevé, et qui lui devait, plus qu’à ses mérites, son grade de lieutenant-général. Le comte et Beaumarchais, qui lui préférait un autre neveu de Paris, M. de Meyzieu, n’étaient pas, il s’en faut, en très-bons termes : « Il me hait comme un amant aime sa maîtresse, » disait Beaumarchais, et c’était vrai. Le premier acte de M. de la Blache, comme héritier de Pâris-Duverney, en fut une première preuve : il refusa d’accepter l’arrêté de compte de Beaumarchais et de son oncle, déclara nulle la signature de celui-ci, et, au lieu de payer les quinze mille livres que cette signature garantissait à Beaumarchais, il lui en réclama cent trente-neuf mille, dont le règlement lui donnait décharge. Comment arrivait-il à ces beaux calculs ? Ni plus ni moins que par une accusation de vol contre son adversaire. Il soutenait que Beaumarchais avait soustrait à son oncle un blanc-seing de trois pages, et que pour arriver jusqu’à la fin de la troisième, où se trouvait la signature, il avait allongé de son mieux ce compte d’apothicaire, qui de débiteur le faisait créancier.

Aux requêtes de l’Hôtel — c’était alors le tribunal de première instance — où l’affaire fut portée au mois d’octobre 1771, après plus de quinze mois de pourparlers inutiles, on ne fut pas de l’avis de M. de la Blache. Le 22 février 1772, une première sentence le débouta de sa demande, et le 14 mars, une seconde ordonna l’exécution du règlement de compte. M. de la Blache en appela devant la Grand’Chambre, mais sans que cet appel mît Beaumarchais en bien grand souci. En février 1773, près d’un an après — les procès marchaient encore plus lentement qu’aujourd’hui — l’affaire était toujours pendante.

Il en attendait le résultat avec le plus grand calme, avec la plus absolue confiance, tout en faisant répéter au Théàtre-Français, pour le carnaval qui approchait, son Barbier de Séville[1], lorsqu’un incident des plus inattendus, des plus étranges, vint tout à coup compliquer toutes ses affaires : retarder indéfiniment sa pièce, et contribuer à lui faire perdre son procès.

Parmi les grands seigneurs qu’il voyait le plus alors était le duc de Chaulne, sorte de colosse brutal et fou, qu’un peu de goût pour les gens et les choses d’esprit recommandait seul. C’est par là que l’avait pris Beaumarchais, qu’il eut l’imprudente candeur de conduire

  1. Mémoires secrets, t. VI, p. 328.