Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/321

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Non… C’est trop tôt briser leurs chaînes ;
Ils seraient heureux de mourir.
Ah ! je me sens altéré de leurs peines,
Et j’ai soif de les voir souffrir.

ASTASIE, avec dédain, au roi.

Ô tigre ! mes dédains ont trompé ton attente,
Et malgré toi je goûte un instant de bonheur :
J’ai bravé ta faim dévorante,
Le rugissement de ton cœur.
Pour prix de ta lâche entreprise,
Vois, Atar, je l’adore, et mon cœur te méprise.

(Elle embrasse Tarare.)

ATAR, vivement aux soldats.

Arrachez-la tous de ses bras.
Courez. Qu’il meure, et qu’elle vive !

ASTASIE tire un poignard qu’elle approche de son sein.

Si quelqu’un vers lui fait un pas,
Je suis morte avant qu’il arrive.

ATAR, aux soldats.

Arrêtez-vous.

ASTASIE, TARARE ET ATAR. (Trio.) TARARE ET ASTASIE ensemble.

Le trépas nous attend :
Encore une minute,
Et notre amour constant
Ne sera plus en butte
Aux coups d’un noir sultan.

(Les soldats font un mouvement.)

ATAR s’écrie :

Arrêtez un moment !

astasie, seule.

Je me frappe à l’instant
Que sa loi s’exécute.
Sur ton cœur palpitant
Tu sentiras ma chute,
Et tu mourras content.

ATAR.

Ô rage ! affreux tourment !
C’est moi, c’est moi qui lutte,
Et leur cœur est content !

ASTASIE.

Sur ton cœur palpitant
Tu sentiras ma chute,
Et tu mourras content.

TARARE.

Sur mon cœur palpitant
Je sentirai sa chute,
Et je mourrai content.

SCÈNE V LES ACTEURS PRÉCÉDENTS.

(Une foule d’esclaves des deux sexes accourt avec frayeur, et se serre à genoux autour d’Atar.)

CHŒUR D’ESCLAVES effrayés.

Atar, défends-nous, sauve-nous !
Du palais la garde est forcée,
Du sérail la porte enfoncée.
Notre asile est à tes genoux.
Ta milice en fureur redemande Tarare.

SCÈNE VI LES PRÉCÉDENTS, TOUTE LA MILICE le sabre a la main, CALPIGI à leur tête, URSON. (Les prêtres de la Mort se retirent.)

CHŒUR DE SOLDATS furieux. (Ils renversent le bûcher.)

Tarare, Tarare, Tarare !
Rendez-nous notre général.
Son trépas, dit-on, se prépare.
Ah ! s’il reçoit le coup fatal,
Nous en punirons ce barbare.

(Ils s’avancent vers Atar.)

TARARE, enchaîné, écarte les esclaves.

Arrêtez, soldats, arrêtez !
Quel ordre ici vous a portés ?
Ô l’abominable victoire !
On sauverait mes jours en flétrissant ma gloire !
Un tas de rebelles mutins
De l’État ferait les destins !
Est-ce à vous de juger vos maîtres ?
N’ont-ils soudoyé que des traîtres ?
Oubliez-vous, soldats, usurpant le pouvoir,
Que le respect des rois est le premier devoir ?
Armes bas, furieux ! votre empereur vous casse.

(Ils se jettent tous à genoux. Il s’y jette lui-même, et dit au roi :)

Seigneur, ils sont soumis ; je demande leur grâce.

ATAR, hors de lui. Quoi ! toujours ce fantôme entre mon peuple et moi ! (Aux soldats.) Défenseurs du sérail, suis-je encor votre roi ? UN EUNUQUE. oui. CALPIGI le menace du sabre. Non. tous les SOLDATS se lèvent. Non. TOUT LE PEUPLE. Non. CALPIGI, montrant Tarare. C’est lui. TARARE. Jamais ! LES SOLDATS. C’est toi.

TOUT LE PEUPLE. C’est toi. ATAR, avec désespoir. (À Tarare.) Monstre !… ! Ils te sont vendus… Règne donc à ma place. (Il se poignarde, et tombe.)