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MÉMOIRES


MÉMOIRE À CONSULTER
POUR
P.-A. CARON DE BEAUMARCHAIS

Pendant que le public s’entretient d’un procès dont le fond et les détails excitent sa curiosité ; pendant que des gazetiers, vendus aux intérêts de différents partis, le défigurent de toutes les manières ; pendant que les méchants accumulent sur moi les plus absurdes calomnies, et ne disputent que sur le choix des atrocités ; enfin pendant que les honnêtes gens consternés gémissent sur la foule de maux dont un seul homme peut être à la fois assailli ; laissons jaser l’oisiveté, dédaignons les libelles, plaignons les méchants, rendons grâces aux gens honnêtes, et présentons ce mémoire à mes juges, comme un hommage public de mon respect pour leurs lumières, et de ma confiance en leur intégrité.

Si c’est un malheur d’être engagé dans un procès dont le plus grand bien possible est qu’il n’en résulte aucun mal ; au moins est-ce un avantage de justifier ses actions devant un tribunal jaloux de l’estime de la nation qui a les yeux ouverts sur son jugement, devant des magistrats trop généreux pour prendre parti contre un citoyen parce que son adversaire est leur confrère, et trop éclairés sur leur véritable dignité pour confondre une querelle particulière dont ils sont juges, avec ces grands démêlés où le corps entier de la magistrature aurait ses droits à soutenir ou son honneur à venger.

La question qui occupe aujourd’hui les chambres assemblées est de savoir si la nécessité de répandre l’or autour d’un juge pour en obtenir une audience indispensable, et qu’on n’a pu se procurer autrement, est un genre de corruption punissable, ou seulement un malheur digne de compassion.

Forcé d’employer ma faible plume, au défaut de toute autre, dans une affaire où la terreur écarte loin de moi tous les défenseurs, où il faut des injonctions réitérées des magistrats pour qu’on me signe au palais la plus juste requête ; détruisons toute idée de corruption par le simple exposé des faits, et ne craignons point qu’on m’accuse de tomber dans le défaut trop commun de les altérer devant la justice. Ils sont déjà connus des magistrats par le vu des charges et informations ; je ne fais ici que les rétablir dans l’ordre chronologique que des dépositions partielles et la forme des interrogatoires leur ont nécessairement ôté.

Uniquement destiné à soulager l’attention de mes juges, ce mémoire sera l’historique exact et pur de tout ce qui tient à la question agitée. Je n’y dirai rien qui ne soit constant au procès. Les faits qui me sont personnels y seront affirmés positivement. Ce que j’ai su par le témoignage d’autrui portera l’empreinte de la circonspection ; et si ce mémoire n’a pas toute la méthode qui caractérise les ouvrages de nos orateurs du barreau, au moins il réunira le double avantage de ne contenir que des faits véritables, et de fixer l’opinion flottante du public sur le fond d’une affaire dont le secret de la procédure empêchera qu’il soit jamais bien instruit par une autre voie.

faits préliminaires

Le 1er avril 1770, j’ai réglé définitivement avec M. Pâris Duverney un compte appuyé sur des titres, et sur une liaison de douze ans d’intérêts, de confiance et d’amitié.

Par le résultat de ce compte, fait double entre nous, M. Duverney resta mon débiteur, et mourut quatre mois après, sans s’être acquitté envers moi.

Son légataire universel prit des lettres de rescision contre l’acte du 1er avril, en poursuivit l’entérinement aux requêtes de l’hôtel, et fut débouté de sa demande par deux sentences consécutives.

Il en appela au parlement ; et, profitant du moment qu’une lettre de cachet me tenait sous la clef, à réfléchir sur le danger des liaisons disproportionnées, il poursuivit sans relâche le jugement de son appel. Il faisait plaider, il sollicitait, il gagnait les esprits ; et moi j’étais en prison.

Enfin, le 1er avril 1773, sur les conclusions de M. l’avocat général de Vaucresson, la cour mit l’affaire en délibéré, au rapport de M. Goëzman.