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MÉMOIRES.

de l’agent, surtout si le juge avait joint à la déclaration la lettre d’un tiers non encore suspecté, qui lui servît d’appui ?

Renfermé au secret, bien verrouillé, soustrait à tout conseil, et dans l’effroi d’un avenir funeste, si cet agent, interrogé sous toutes les faces en six temps différents, soutenait constamment que non-seulement sa fausse déclaration a été demandée, sollicitée, suggérée, mais qu’elle a été entièrement minutée de la main du juge, et qu’il n’a fait que la copier telle qu’il avait plu au juge de la fabriquer ; faudrait-il manquer à s’éclaircir de ces faits importants, sous prétexte qu’il serait désagréable qu’un homme honoré d’un grave emploi vînt à se trouver, par l’événement de la recherche, auteur d’un délit mal imputé, d’un scandale public, et surtout de l’accusation et du décret d’un innocent ? et toute la question ne se réduirait-elle pas alors à découvrir si la déclaration est fausse ou véritable, naturelle ou suggérée ; surtout s’il est vrai qu’elle ait été minutée de la main de celui à qui seul il importait qu’elle fût faite ainsi ?

Et si l’attestation du prisonnier ne suffisait pas pour prouver qu’il a emporté la minute du magistrat, et l’a gardée dix-sept jours pour en faire des copies, ne faudrait-il pas assigner en témoignage tous ceux qu’il déclarerait avoir lu, tenu et copié cette précieuse minute ?

Et si trois témoins entendus ne paraissaient pas encore suffisants pour achever de convaincre les magistrats, l’accusé n’aurait-il pas le droit d’en indiquer d’autres, et de demander qu’on les entendît, pour renforcer la preuve du fait par l’amoncellement des témoignages ?

Enfin, si l’on avait bien constaté au procès quel est le véritable auteur de cette déclaration, ne serait-il pas permis à l’accusé, si durement décrété, de raisonner tout haut devant les juges et le public sur les motifs et les conséquences de la fabrication d’un pareil titre ?

Maintenant vous savez l’affaire aussi bien que moi ; tout ce que vous venez de lire est l’histoire du procès. Je fus victime de la déclaration dont le Jay fut le copiste, et M. Goëzman l’auteur. — L’auteur ? — oui, l’auteur. Le mot est lâché ; ce n’est pas sans réflexion que je l’ai dit ; je m’y tiens. Mais lorsque M. Goëzman nie d’avoir fait cette minute, êtes-vous bien certain de pouvoir le prouver ? — Loin que son désaveu nuise à ma preuve, il la rendra plus importante ; et c’est ce que j’ai déjà dit plus haut à madame Goëzman, au sujet des quinze louis : la dénégation sèche d’un fait prouvé d’ailleurs au procès, non-seulement sert à mieux l’établir, mais encore à montrer combien on redoutait de le voir discuter. C’est pourtant ce que je vais faire.

Je pourrais mettre au rang de mes preuves la déposition et les interrogatoires de le Jay, où il affirme que M. Goëzman lui a présenté la déclaration minutée de sa main à copier, et que, pour aller plus vite, madame Goëzman, tenant la minute de son mari, dictait pendant qu’il écrivait. Je veux bien ne m’en pas servir.

Je pourrais y réunir la déposition de Donjon, commis de le Jay, qui déclare avoir copié la déclaration sur une minute d’une écriture que ce dernier lui a dit être celle de M. Goëzman ; ce qu’il reconnaîtra bien, si on lui montre de l’écriture de ce magistrat. Je consens à ne pas l’employer.

Je pourrais tirer encore un grand avantage du mot excellent de la dame le Jay à sa confrontation, quand on lui a montré la déclaration de son mari : C’est bien là l’écriture de mon mari ; mais je suis très-certaine que ce n’est pas son style : mon mari n’a pas assez d’esprit pour faire toutes ces belles phrases-là. Et l’on voit ici que la vérité s’exprime avec l’honnête simplicité des bons vieux temps ; c’est la main d’Ésaü, mais j’entends la voix de Jacob. Et quand nous donnerons la copie littérale de cette déclaration, on en sentira bien mieux la force de l’observation de la dame le Jay. — Mais je laisse encore cela de côté.

Enfin voici mes preuves : elles sont muettes, et en cela plus éloquentes ; elles sont au procès, et c’est M. Goëzman lui-même qui les fournit. Il est vrai que j’ai eu la peine de les y démêler ; mais je ne regretterai pas le soin que j’ai pris, si je prouve à ce magistrat que ce qu’il a de mieux à faire aujourd’hui est de convenir tout uniment qu’il a présenté à le Jay sa propre minute à copier. Prouvons donc.

preuves morales.

M. Goëzman s’est présenté avec un papier au parlement, et a dit : Voici une déclaration que le Jay m’a écrite ; elle n’est pas sortie de mes mains ; je la remets au greffe avec l’original de ma dénonciation, dont elle prouve la véracité. — Rien de plus clair assurément.

Madame Goëzman est venue ensuite avec un autre papier au parlement, et a dit : Voilà une déclaration de le Jay que je remets au greffe. Quoiqu’elle soit de l’écriture d’un commis de le Jay, j’atteste qu’elle est signée de lui, et parfaitement conforme à l’original que le Jay a écrit en ma présence, et que mon mari a déposé ; et j’atteste qu’il n’y a jamais eu d’autre minute écrite de la main de mon mari. — On ne peut pas mieux s’énoncer.

Mais, monsieur et madame, avant de vous répondre, qu’était-il besoin de déposer chacun une déclaration, puisqu’elles disent toutes deux la même chose ? — C’est que nous sommes des gens véridiques, et que nous ne voulons rien d’équivoque : l’original est de la main de le Jay ; la copie est de celle de son commis. Ce qui abonde ne vicie pas. — Peut-être.

Mais s’il n’y a eu qu’une seule déclaration écrite par le Jay chez M. Goëzman, restée entre les mains