Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/375

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Si vous n’étiez pas l’ami de M. Goëzman, pourquoi l’excellente plaisanterie du nom de Beaumarchais, que j’ai pris, dites-vous, d’une de mes femmes, et rendu à une de mes sœurs, se trouve-t-elle dans le mémoire de madame Goëzman, lorsqu’elle était d’abord en tête du vôtre ? Vous voyez que je dis tout, M. Marin, et qu’il n’y a ni réticences, ni points, ni phrases en l’air, ni ridicules ménagements, ni plate économie dans mon style ; je suis comme Boileau :

Je ne puis rien nommer, si ce n’est par son nom :
J’appelle un chat un chat…

et Marin un fripier de mémoires, de littérature, de censure, de nouvelles, d’affaires, de colportage, d’espionnage, d’usure, d’intrigue, etc., etc., etc., etc. Quatre pages d’et cætera.

À vous à parler, mon bienfaiteur, le bienfaiteur de tout le monde, et que tout le monde accuse de n’avoir jamais bien fait sur rien. Je viens de montrer comment vous m’avez servi, comment je l’ai reconnu, comment vous l’avez prouvé, comment je vous ai répondu : amenez vos témoins, fournissez vos preuves, creusez votre mine, arrangez votre artillerie. Je dis tout haut que je ne suis ni assez riche ni assez pauvre pour vous avoir jamais emprunté de l’argent. Cela est-il clair ? m’entendez-vous ? Répondez à cela.

Je vous félicite d’être honoré de votre propre estime : c’est une jouissance qui ne sera troublée par aucune rivalité. Mais vous allez trop loin en invoquant les suffrages des honnêtes gens, et même ceux de la police.

Oseriez-vous compter sur le témoignage des inspecteurs ou officiers de police qui vous ont éclairé dans vos voies ténébreuses ?

Oseriez-vous compter sur celui des chefs qui ont été chargés de vérifier les informations faites contre vous ?

Oseriez-vous compter sur celui de Me C… de C…, à qui ont été renvoyés les examens de diverses plaintes sur des capitaux renforcés par les intérêts ?

Oseriez-vous compter sur celui de M. de St.-P…, qui depuis cinq ans gémit du malheur de vous avoir confié ses pouvoirs pour un arbitrage, et qui ne cesse de demander vengeance au ministère contre vous ? Et l’affaire Roussel ? et l’affaire Paco ? et l’affaire, etc., etc., etc., etc. ? encore quatre pages d’et cætera.

Et vous mettez des points dans votre style, pour vous donner l’air de me ménager ! Allons, mon bienfaiteur, que ma franchise vous encourage ; dites, dites : Voilà de beaux mystères ! À présent on dit tout. Encore un ennemi, encore quelques mémoires, et je suis blanc comme la neige. Je vous invite à ne me ménager sur rien. À votre tour osez me porter le même défi.

Maintenant que nous sommes entre quatre yeux, eh bien ! vous avez donc vos petits témoins tout prêts, pour m’accuser d’avoir dit que le comte de la Blache avait donné cinq cents louis à M. Goëzman ? eh mais ! vos pieuses intentions à ce sujet sont déjà consignées au greffe par mon récolement. Je savais votre dessein : ce pauvre Bertrand m’en avait menacé un jour devant dix personnes, qui certifieront le fait. Un abbé, des amis de Marin, l’avait, disait-il, chargé de m’avertir que si je prononçais un seul mot contre lui, son projet était de me mettre à dos le comte de la Blache, etc… Je vous attends, mon bienfaiteur. Vos bontés ne m’ont pas empêché de parler ; vos menaces ne me réduiront pas au silence.

Ce n’est pas que l’on ne me dise et ne m’écrive tous les jours que vous êtes l’ennemi le plus dangereux, que vous avez un crédit étonnant pour faire du mal, un grand pouvoir pour nuire. Je cherche en vain comment la Gazette peut mener à tant de belles choses, car toutes ces belles choses ne vous ont sûrement pas mené à la Gazette.

On dit aussi que vous avez juré ma perte. Si c’est faire du mal à un homme que d’en dire beaucoup de lui, personne à la vérité n’est plus en état de faire ce mal-là que vous.

Mais lorsqu’on vous confia la trompette de la Renommée, était-ce pour corner qu’on vous la mit à la bouche ? était-ce pour ramper dans le plus aisé de tous les genres d’écrire qu’on vous en attacha les ailes ? Encore, ne pouvant vous livrer à toute l’âpreté de vos petites vengeances sous les yeux d’un ministre éclairé qui vous veille de près, vous briguez sourdement un paragraphe dans chaque gazette étrangère, où je suis déchiré à dire d’experts. Ainsi, de brigue en brigue, et briguant partout assidûment contre moi, vous trouvez le secret de me dénigrer toutes les semaines, et d’ennuyer l’Europe entière de ma personne et de mon procès.

Pour finir, mon bienfaiteur, nommez-nous donc les personnages à qui j’ai dit : Je dois trop à Marin pour abuser encore de ses bontés. C’est, dites-vous, chez un grand seigneur qui m’admettait alors à sa table. À cet alors insultant, voici ma réponse.

Le grand seigneur chez lequel je vous ai rencontré est M. le duc de la Vallière, auquel depuis douze ans je suis attaché par devoir, comme lieutenant général de sa capitainerie ; par respect, c’est un homme de qualité qui a l’esprit solide et le cœur généreux ; par reconnaissance, il m’a toujours comblé d’une bonté qu’il pouvait me refuser ; par justice, il m’a honoré d’une estime que j’ai méritée : car, si l’amitié s’accorde, l’estime s’exige, et si l’une est un don, l’autre est une dette ; il n’y a point d’alors sur ces choses-là : et si, pour repousser une injure aussi misérable, j’avais besoin d’un témoignage de probité, d’honneur, de désintéressement, d’exactitude et de loyauté, c’est à ce grand seigneur surtout que je m’adresserais, et