Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/425

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réparer les chagrins que j’ai causés involontairement à mademoiselle Caron ; je lui offre de nouveau de l’épouser, si les malentendus passés ne lui ont pas donné trop d’éloignement pour moi. Mes propositions sont très-sincères. Toute ma conduite et mes démarches tendent uniquement à regagner son cœur, et mon bonheur dépendra du succès de mes soins ; je prends donc la liberté de vous sommer de la parole que vous m’avez donnée, de vous rendre le médiateur de cette heureuse réconciliation. Je sais qu’un galant homme s’honore en s’humiliant devant une femme qu’il a offensée ; et que tel qui croit s’avilir en demandant excuse à un homme a bonne grâce de reconnaître ses torts aux yeux d’une personne de l’autre sexe. C’est donc en connaissance de cause que j’agis dans toute cette affaire. L’assurance libre et franche que je vous ai donnée, monsieur, et la démarche que j’ai faite pendant votre voyage d’Aranjuez auprès de mademoiselle votre sœur, peuvent me faire un certain tort dans l’esprit des personnes qui ignorent la pureté de mes intentions ; mais j’espère que, par un exposé fidèle de la vérité, vous me ferez la grâce d’instruire convenablement tous ceux que l’ignorance ou la malignité ont fait tomber dans l’erreur à mon égard. S’il m’était possible de quitter Madrid sans un ordre exprès de mon chef, je partirais sur-le-champ, pour aller à Aranjuez lui demander son approbation ; mais j’attends encore de votre amitié que vous prendrez le soin vous-même de lui faire part des vues légitimes et honnêtes que j’ai sur mademoiselle votre sœur, et dont cette lettre vous réitère l’assurance ; la promptitude de cette démarche est, selon mon cœur, la plus grande ummarque que vous puissiez me donner du retour que je vous demande pour l’estime parfaite et le véritable attachement avec lequel j’ai l’honneur d’être, monsieur, votre, etc.

« Signé Clavijo.

« 26 mai 1764. »

À la lecture de cette lettre, que je faisais devant mes sœurs, la plus jeune fondit en larmes. Je l’embrassai de toute mon âme : « Eh bien ! mon enfant, tu l’aimes encore ; tu en es bien honteuse, n’est-ce pas ? je le vois. Mais va, tu n’en es pas moins une honnête, une excellente fille ; et puisque ton ressentiment tire à sa fin, laisse-le s’éteindre dans les larmes du pardon : elles sont bien douces après celles de la colère. C’est un monstre (ajoutai-je en riant) que ce Clavijo, comme la plupart des hommes, mais, mon enfant, tel qu’il est, je me joins à M. le marquis d’Ossun pour te conseiller de lui pardonner. J’aimerais mieux pour lui qu’il se fût battu ; j’aime mieux pour toi qu’il ne l’ait pas fait. »

Mon bavardage la fit sourire au milieu de ses larmes ; et je pris ce charmant conflit pour un consentement tacite aux vues de M. l’ambassadeur. Je courus chercher mon homme, à qui je dis bien qu’il était cent fois plus heureux qu’il ne le méritait ; il en convint avec une bonne foi qui finit par nous charmer tous : il arriva tremblant chez ma sœur. On enveloppa la pauvre troublée, qui, rougissant moitié honte et moitié plaisir, laissa échapper enfin avec un soupir son consentement à tout ce que nous allions faire pour l’enchaîner de nouveau.

Dans son enchantement, Clavijo prit la clef de mon secrétaire, et fut écrire le papier suivant, qu’il signa et qu’il apporta, le genou en terre, à signer à sa maîtresse, devant MM. Laugier, secrétaire d’ambassade de Pologne ; Gazan, consul d’Espagne à Bayonne ; Devignes, chanoine de Perpignan ; Durocher, premier chirurgien de la reine mère ; Durand et Perrier, négociants français ; don Firmin de Salsedo, contador de la trésorerie du roi ; de Bievardi, gentilhomme italien ; Boca, officier des gardes flamandes, et autres. Chacun joignit ses instances aux miennes, et l’on arracha, par-dessus le consentement verbal, la signature de ma pauvre sœur, qui, ne sachant plus où mettre sa tête, de confusion, vint se jeter dans mes bras en pleurant, et réassurant tout bas qu’en vérité j’étais un homme dur et sans pitié pour elle.

COPIE EXACTE DE L’ÉCRIT DE LA MAIN DE CLAVIJO, SIGNÉ DE LUI ET DE MA SŒUR, DONT J’AI L’ORIGINAL.

« Nous soussignés Joseph Clavijo, et Marie-Louise Caron, avons renouvelé, par ce présent écrit, les promesses mille et mille fois réitérées que nous nous sommes faites de n’être jamais l’un qu’à l’autre, et nous nous engageons de sanctifier ces promesses par le sacrement de mariage le plus tôt qu’il sera possible : en foi de quoi nous avons fait et signé cet écrit entre nous.

« À Madrid, ce 26 mai 176’.

« Signé Marie-Louise Caron,

« et Joseph Clavijo. »

Tout le monde passa la soirée avec nous dans la joie d’un si heureux changement, et je partis pour Aranjuez à onze heures du soir, car dans un pays aussi chaud, la nuit est le temps le plus agréable pour voyager.

Je supplie le lecteur de suspendre encore son jugement sur la futilité de ces détails ; il verra bientôt s’ils étaient importants.

En arrivant à Aranjuez, je rendis un compte exact à M. l’ambassadeur, qui eut la bonté de donner plus d’éloges à toutes les parties de ma conduite qu’elles n’en méritaient, mais qui me conseilla de ne rien dire à M. de Grimaldi de ce