Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/440

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vée, la presse a cessé de gémir, et l’impression s’est arrêtée. Il était vendredi ; je devais être jugé le lundi. Le comte de la Blache alors, se croyant bien assuré que mes défenses ne pouvaient plus paraître avant le jugement, a répandu dans le public son mémoire outrageant et moqueur, dans lequel on a vu qu’il me reproche avec raillerie d’abandonner lâchement le soin de ma réputation et de n’oser lui répondre sur le fond du procès. Quelle modestie ! a-t-il dit avec joie ; quelle perfidie ! me suis-je écrié avec indignation.

Je reçois à six heures du soir ce coup terrible et ténébreux d’une autorité qui se cache. Je cours à Versailles, et vais me jeter aux pieds de monseigneur le garde des sceaux, qui, n’ayant point donné de tels ordres, et touché de ma juste douleur, a la bonté de me promettre que je ne serai point jugé le lundi suivant, puisque je crois essentiel à ma cause et à mon honneur que ma défense paraisse avant le jugement.

À minuit j’étais de retour à Paris, chez le syndic de la librairie, pour savoir ce qu’était devenu mon exemplaire enlevé. — Je l’ai envoyé, dit-il, chez le lieutenant de police. — À M. Le Noir ? Depuis huit jours accablé de souffrances, et ce soir même encore saigné du pied ; dans l’instant où nous tremblons tous pour sa vie, un tel ordre ne peut être émané de lui. — Apparemment que l’ordre vient encore de plus haut. — Pas plus exact, monsieur, d’une part que de l’autre ! J’arrive de Versailles, et ce sont mes plaintes amères qui ont appris à M. le garde des sceaux qu’il existait un ordre d’arrêter la presse, de violer l’asile des pensées, d’en exprimer une effigie de mes défenses, de l’enlever de force, et que cet ordre, annoncé de la part du roi, quoiqu’il n’en vînt point, puisqu’il n’était point émané de monseigneur le garde des sceaux, portait l’ordre de ne point montrer l’ordre.

Ce résultat effrayant de l’intrigue, cet abus du pouvoir des sous-ordres me rappela le trait du Contrat social : Un pistolet est aussi une puissance. En effet, c’est ainsi qu’en usent les gens qui viennent enlever la bourse aux passants de la part d’un pistolet : ils ont ordre de ne point montrer l’ordre. Je quittai le syndic.

À deux heures du matin j’étais chez le chef des bureaux de police, à qui ces choses doivent ressortir. Il s’éveille, il s’étonne, et me jure qu’il n’en sait pas plus que moi sur cet objet.

lemain a midi j’étais à Versailles encore une fois aux pieds de monseigneur le garde des sceaux ; et ce— : de la généreuse équité du chef delà ju j’ai enfin obtenu qu’un ordre arrivé bon ne sait d’où) , 1 arrêtet des presses, de les violer, d’en extraire et d’en i de force une épreuve aussi importante, et de ne point montrer l’ordre étonnant qui portait autant d’ordres étonnants, fût révoqué, fût regardé comme Et si.M. le..iule des sceaux par malheur est un homme ordinaire ; —a sa mâle équité ne l’élève pas, en t, eu point de préférer le respect du t 1 à la vanité des formes ; si sa justice et ses lumières ne lui dévoilent pas qu’un veut me perdre en arrêtant mes défenses ; enfin, s’il ne me rend pas la liberté d’impri mer. et s’il ne recule pas le jug Mt, lundi nai ruai dit, je suis jugé, je puis me voir déshonoré, million di rài lui >ient à jamais ren i de ce malheur.

Voilà, lecteur, les dangei — que j ai courus. ai ie comte de la Blache ne peut plu empêcher que le mémoire qu’il a répandu ne soit répandu —il ne peut emp cher qu’on n’5 voie l’ironie outrageante avei laquelle il mereprochait d’abandonner le soin de ma réputation et de ne pas oser lui répondre, pendant qu’il employait tout ce que l’intrigue et l’autorité ont de plus redoutable pour empêcher que ma réponse ne parût.

Enfin la voilà, cette réponse que le comte de la Blache a craint avec 1 tison qui ne le couvrit dune nouvelle confusion. Mais dans un siècle où l’art de deviner les hommes a fait chez eux autant de progrès que celui de se déguiser, on sent que je n’ai pas dû perdre un instant de vue mon adroit adversaire. Pendant que je lui répondais de la plume, je le suivais partout de l’œil ; et, quoiqu’il soit souple et glissant comme une couleuvre, et qu’il ait à ses ordres des avocats pour insulter, des chevaux pour courir, des amis pour solliciter, du crédit pour ni, tenir, et de l’argent pour m’arrêter île toutes part. soyez certain, lecteur, qu’il n’a. jusqu’à ce moment, encore obtenu d’autre avantage sur moi que de m’avoir empêché devoir nos juges, qu’il a fatigués de reste pour nous deux, et d’avoir retardé l’impression de eei ouvrage.

Et je n’ai lait ce détail qu’afin de persuader le public, qui s’étonnait déjà de mon silence, que dans toutes mes affaires, lorsque j’ai l’air d’être en demeure et d’avoir bien des torts, je suis toujours plus à plaindre qu’à blâmer.

Le grand mémoire qui suit 1 épond à tout le reste. MEMOIRE A CONSULTER

ET CONSULTATION

POUR

P. —A. CARON DE BEAUMARCHAIS

Le sieur de Beaumarchais, en instance au conseil du roi, sur sa demande en cassation d’un arrêt rendu au Palais le 6 avril t :  ;  :  ;. et presse par l’approche du jugement, établit la question suivante, sur laquelle il désire une consultation. Il dit : En octobre 1773, j’ai obtenu au conseil un arrêt de soit communiqué. Le comte Alexandre-Josi pli Falcoz de la Blache, légataire universel et mou adversaire, suivant toujours son principe, qui est de gagner du temps et de lasser ma patience, que pourtant il ne lassera point, car, s’il ne sait pas être riche, il verra que je sais être pauvre ; ce comte Falcoz, dis-je, m’a lait perdre quinze mois en délais si abusifs, que je me suis vu forcé de solliciter auprès do monseigneur le garde des sceaux un ordre à M e Mariette, avocat du comte • le la Blache, de produire.

Mes amis et beaucoup d’autres personnes m’ont plusieurs fois demandé —i je ne ferais point de mémoire dans celle affaire ; mais, convaincu que mes requêtes 1’■tnienl plus que suffisantes pour instruire les magistrats, je me suis abstenu d’écrire, ne voulant pas qu’on pût m’accuser d’être, en aucune occasion, le premier à provoquer l’adversaire : j’ai même empêché mon avocat de rien imprimer sur l’objet de la cassation depuis la première requête.