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VIE DE BEAUMARCHAIS.


fut réellement pour les auteurs un décret de libération, d’émancipation, et, l’on peut le dire, aussi de « mise en possession » définitive de leurs œuvres[1], ne fut pas dissous, et put même se maintenir au milieu des bagarres de la Révolution, ce fut grâce à lui.

En 1797, revenu de cet exil, dont nous dirons les causes et les péripéties, ayant retrouvé cette Société debout, tant il l’avait bien posée, Beaumarchais se faisait fort d’en être resté le président perpétuel, pour se plaindre au ministre de l’intérieur des accaparements arbitraires qu’on se permettait partout, dans la cohue de directions théâtrales créée par la liberté des théâtres[2], et pour réclamer en même temps, près de lui, contre les directeurs de province, ceux des grandes villes surtout, Lille et Toulouse par exemple[3], auxquels il était absolument impossible de faire comprendre qu’ils devaient bien quelque chose à un auteur à qui ils devaient une pièce, et grâce à cette pièce des recettes[4].

L’année d’après, « le bureau » menaçant de se dissoudre, et Framery, qui en était alors le fondé de pouvoirs, ne se sentant plus de force à le maintenir, c’est encore lui qui retrouva de l’énergie pour lui rendre du courage, et le rappeler à la défense de cette fondation, seule sauvegarde des auteurs contre les directions : « S’ils y renonçaient, lui écrivait-il le 27 brumaire an VI, ils retomberaient dans l’isolation (sic), qui les tuait[5]. »

Ce fut un de ses derniers efforts, il mourait quelque temps après. Vieux et désenchanté, rien n’avait presque survécu en lui que l’amour du théâtre et de ses libertés. Il ne devait pas moins à Figaro.

Ce qui lui était arrivé avec les Américains, dont l’ingratitude pour son zèle, son courage et ses services, fut, on va le voir, réellement criante, avait été une des causes de ce dégoût, de ce désenchantement qui attristèrent sa fin.

Le roi, nous l’avons dit, lui avait, au mois de juin 1776, fait ordonnancer l’avance d’un million, pour ce qu’il voulait entreprendre dans l’intérêt de la révolte de nos alliés encore secrets, « les insurgents » d’Amérique, à qui presque tout manquait, comme armes et comme équipement. Au mois d’août suivant, il avait reçu un second million, mais cette fois de l’Espagne, à qui cette guerre contre les Anglais n’importait pas moins qu’à la France ; et avec ces fonds il avait, comme on dit, monté aussitôt une affaire énorme, où, soit par lui-même, soit par des associés qu’il sut trouver, il en engageait bientôt de beaucoup plus considérables. Comment en serait-il remboursé ? Par des échanges. Pour une cargaison d’armes, on renverrait dans les mêmes navires, à la Société Rodrigue Hortalès et Cie — il appelle ainsi sa maison de commerce — une cargaison de tabac de Maryland ou de la Virginie ; pour des habillements, du riz ou de l’indigo, etc.

Silas Dean, agent autorisé des « insurgents » à Paris, était convenu de tout avec lui, quand Arthur Lee, d’abord négociateur en titre, se vengea d’avoir été mis en sous-ordre par l’arrivée de Silas Dean, en dérangeant et retournant tout. Instruit par Beaumarchais lui-même de l’origine des premières ressources de l’entreprise, il en abusa pour écrire au Congrès que Dean et lui, de connivence, voulaient substituer un intérêt de commerce au désintéressement du roi, et faire de ce qui avait été de sa part un don purement gratuit pour les Américains la base d’une affaire à gros bénéfices[6].

Vainement Beaumarchais, par des envois considérables : vingt-cinq mille fusils, deux cents canons, deux cents milliers de poudre, et des objets de campement et d’équipement

  1. Il y était dit que les comédiens ne pourraient jamais s’attribuer aucun droit de propriété sur une œuvre, et la jouer sans la permission de l’auteur.
  2. Catalogue des autographes vendus le 22 mars 1847, no 24.
  3. Loménie, t. II, p. 41-42.
  4. Gudin, Œuvres de Beaumarchais, t. VII, p.275-276.
  5. Catalogue des autographes du Dr Succi, 1863, in-8, p. 94.
  6. Loménie, t. II, p. 119.